QUEL SALUT POUR AUJOURD’HUI ?

Lectures : Esaïe 12, 1-6 ; Romains 3, 21-25 ; Jean 3, 13-17. (Dimanche de la Trinité)

1. A-t-on besoin d’un salut aujourd’hui ?

Vous avez peut-être entendu dire qu’à Bienne, les automobilistes pourront acheter des montres dans un « drive-in », sans avoir besoin de sortir de voiture. Les commerçants essaient par tous les moyens de relancer la consommation en baisse. Comment enfiler de nouveaux produits à un peuple qui a déjà tout ce qu’il lui faut ? Alors, gavons-le de publicité et essayons de nouveaux trucs. A l’Église aussi la consommation est en baisse. Elle a de grandes difficultés : comment offrir la bonne nouvelle du salut à des gens satisfaits ? Car le salut n’est-il pas ce que l’Église offre ? Mais que faut-il entendre par salut, un mot que nous n’utilisons que pour dire « salut » à un copain que nous rencontrons dans la rue, et qui équivaut pratiquement à « bonjour ! » Le salut signifie-t-il la paix ? Le bonheur ? Le pardon ? Le paradis ? Autre chose encore ? (Exercice mental) La question est : quel doit être notre message du salut pour des gens qui n’ont pas besoin de salut, parce qu’ils ont déjà tout ?

Il y a pourtant de grandes inégalités dans le monde. Pour ceux qui sont affamés ou sans ressources, le salut ne sera-t-il pas de pouvoir manger et subsister ? Pour les chômeurs, de trouver un travail ? Pour les femmes, d’avoir un salaire égal à celui des hommes ? Pour les migrants, de trouver un accueil, une place dans la société, un avenir. Et pour ceux qui travaillent à plein régime et dont on exploite les forces, le salut qu’ils espèrent sera peut-être d’avoir du repos, des loisirs, de partir en vacances… Cela a-t-il un rapport avec la bonne nouvelle du salut ? Ou le salut est-il tout autre chose ? Je vous propose de chercher du côté de Jésus et de Paul une réponse à cette question.

2. Royaume de Jésus et justification paulinienne

Jésus est parti sur les routes d’Israël annonçant le « Royaume de Dieu qui vient ». Rien à voir avec une utopie politique. Le Royaume est l’instauration d’un temps nouveau au milieu de notre temps ordinaire. En guérissant des malades, en pardonnant, en réintégrant des misérables dans la société, en engageant à sa suite des des hommes et des femmes bouleversés par son message de foi et de conversion, Jésus leur a permis de se retrouver comme étant aimés de Dieu, élus par lui. Dès lors, le temps de leur vie était métamorphosé : ils entraient dans le nouveau temps du Royaume, où l’on éprouve la proximité et la bonté de Dieu et où toutes choses prennent une autre valeur. Un temps de renversement où les premiers deviennent derniers et les derniers premiers, où les petits sont considérés.

Dans un autre langage, l’apôtre Paul ne dit pas autre chose : aux païens comme aux juifs, il annonce la justification par la foi. C’est-à-dire leur acceptation par Dieu, Paul ajoute même, l’octroi d’une fierté en Dieu. Et cela non pas en vertu de leurs œuvres ou de mérites particuliers, mais simplement par leur acte de confiance à l’égard de cette grâce donnée, gratuite. Il ne fait aucun doute pour moi, que cette globalisation, non pas du marché, mais du don de Dieu offert à tous ceux qui croient, a changé le monde. Noirs, blancs, jaunes, tous les sans-nom peuvent se savoir reconnus par Dieu – fils et filles de Dieu – et intégrés dans le corps du Christ.

Le salut biblique, même s’il est aussi un objet d’espérance, commence donc déjà maintenant et ici-bas. Il est une modification de notre temps de vie, parce qu’animé par l’Esprit saint qui nous relie à Dieu pour toujours. L’évangile de Jean dit que « quiconque croit a la vie éternelle » ; cette vie éternelle est une réalité présente. L’éternel est présent, le présent est éternel, c’est un changement de temporalité. Très important : cela nous permet d’écarter l’image simpliste d’un paradis qui existerait comme un territoire au-dessus de nos têtes, que nous rejoindrions après notre mort, avec ses anges et toutes sortes de bonnes choses, mais prometteur d’un ennui total. A plus forte raison, le paradis des jihadistes, avec leurs 72 vierges toutes prêtes, est d’un parfait ridicule, quand il est compris littéralement et non comme un symbole du salut.

3. Le salut comme libération de soi

J’ai évoqué jusqu’ici le salut comme un changement dans notre manière de vivre le temps, qui implique la possibilité de se retrouver-soi-même devant Dieu, d’être reconnu par lui dans notre authenticité, dans notre être véritable. Et je crois que c’est cela qui manque aux hommes et aux femmes de chez nous. Ils ont tout : TV, smartphone, voiture, des possibilités innombrables de distractions, de voyages et de culture. Mais, de plus en plus, dans notre société, ils sont des numéros, dont le destin est d’être des consommateurs programmés, et donc prisonniers. Ils ne savent pas qui ils sont, ni quelle doit être leur mission. Ils sont donc en recherche de leur être véritable, de leur rôle dans le monde. En langage paulinien, je dirai qu’ils cherchent à justifier leur existence. Certains le font passionnément : ils font le tour du monde, à la recherche d’eux-mêmes. Ou ils se retrouvent par milliers à faire la queue pour faire l’ascension de l’Everest, pensant que c’est ainsi qu’on devient un homme. Nous pourrions donner bien d’autres exemples de ces tentatives d’émerger du système pour devenir quelqu’un.
L’Évangile est une bonne nouvelle, car il donne une réponse à cette question. Nous sommes déjà retrouvés, annonce-t-il, comme le fils prodigue ; nous sommes déjà reconnus, dans notre liberté quand nous faisons pleine confiance à ce Dieu qui nous a aimé en Jésus-Christ.

4. Le salut comme échange

Nous constatons donc que le salut n’est pas une chose figée, un paradis, un statut de surhomme… :
il est une manière d’être en relation avec Dieu et avec soi. Le salut est un don qui se donne, un amour qui se livre et qu’on reçoit. C’est un échange : avec Dieu, et également avec les autres. La Cène que nous allons partager est un signe de cet échange, elle est un symbole du salut. Et ce n’est pas pour rien que la Croix du Christ a été comprise comme un échange. Dans la foi nous découvrons que sur la croix Jésus a donné sa vie pour nous. C’est un acte d’amour de Dieu, qui a pour but de nous mettre en état de répondre par l’amour aussi. Cet échange est au coeur de toute la vie chrétienne, que Luther définissait précisément comme « un joyeux échange ». Il faudrait que nous nous en souvenions au moment de prendre part à la Cène, qui est souvent vécue de manière par trop solennelle.

Une manière de proclamer le salut aujourd’hui me semble de vivre mieux l’échange. Nos communautés ont diminués drastiquement, en tout cas en Europe. Je pense que c’est en vivant mieux l’échange, auquel nous habilite l’Esprit saint, que nous pouvons les ranimer et les faire croître : reconnaissance réciproque, amour partagé, conscience que le salut est un temps nouveau qui s’ouvre devant nous et dans lequel nous sommes invités à entrer.

Donné à Cossonay le 16.06.2019

René Blanchet