COMMENT SUIVRE JÉSUS ?

Lectures : Deut. 30, 11-14 ; 1 Thess. 1, 5-10 ; Jean 10, 27-30 (7è dimanche de Pâques)

1. Jésus avec nous

Vous savez que dans les théâtres anciens, au 17-18è s. on ne lésinait pas sur les gros effets. Quand on représentait des scènes mythologiques, vous aviez des personnages qui descendaient au bout d’une corde, vous pouviez voir d’énormes dragons nimbés d’éclairs et produisant des volutes de fumée qui volaient à travers la scène, puis remontaient vers le ciel. Tout cela grâce à une grosse machinerie et force cordages. Aujourd’hui, nos moyens sont plus subtils : on utilise surtout des effets lumineux extraordinaires qui permettent de faire apparaître d’un seul coup un nouvel espace, un nouveau décor, et de le remplacer en une seconde pour introduire une ambiance totalement différente. Le récit de l’Ascension, où l’on voit Jésus monter au ciel à côté d’un gros nuage me fait penser au théâtre ancien et à sa machinerie un peu primitive. Et je me dis qu’il vaudrait mieux se représenter cet événement et le repenser à travers un filtre lumineux.

L’Ascension signifie que désormais, quand nous levons les yeux vers Dieu, c’est le visage de Jésus que nous voyons en superposition, Dieu a pris le visage de Jésus. Et aussi, que le Jésus local, crucifié à Jérusalem, est devenu universel : il est une source lumineuse pour tous les hommes. Il est toujours avec nous !

2. Suivre Jésus.

Affirmer que Jésus est toujours avec nous, et près de nous, peut faire penser à une relation statique. Mais vous savez que, se séparant de ses disciples, Jésus les a envoyés en mission. Et qu’être toujours avec lui, c’est le suivre. C’est à cela qu’avaient été appelés les disciples par le Jésus terrestre, c’est à cela, quoique d’une autre manière, que nous sommes appelés également. Que veut donc dire suivre Jésus aujourd’hui, quelle relation pouvons-nous avoir avec lui ? « Mes brebis écoutent ma voix et je les connais, et elles viennent à ma suite. » déclare Jésus dans l’évangile de Jean. Écouter pour suivre. Telle est la succession nécessaire des choses.

3. La parole intérieure

Écouter est une opération intérieure autant qu’extérieure. Bien sûr, il est nécessaire qu’un mot, une affirmation nous atteigne de l’extérieur pour que se déclenche la digestion intérieure, le travail capital de l’assimilation. Cependant, nous le constatons, nous sommes bombardés par des flots de paroles extérieures dont la plupart ne font que ricocher sur nous. Il en est de même des paroles religieuses. Il faut que la voix de Jésus ne reste pas à l’extérieur, comme ces versets bibliques de calendrier qu’on peut voir épinglés sur les parois d’une cuisine. Il faut qu’elle devienne présence intérieure. J’aimerais vous lire à ce propos un passage très connu des Confessions de St-Augustin ; mais il est si beau qu’on peut le réécouter cent fois : Trop tard je t’ai aimée, beauté si ancienne et si neuve, trop tard je t’ai aimée. Regarde. Tu étais à l’intérieur, j’étais au-dehors à ta recherche. J’étais difforme, et je me jetais vers l’élégance des formes que tu as faites. Tu étais avec moi, je n’étais pas avec toi… » Puis Saint Augustin évoque l’éclair, le feu de la rencontre, au moment où, se retournant à l’appel du Christ, il le découvre présent dans son intériorité. Augustin cherchait à l’extérieur, au-dehors, c’est-à-dire qu’il désirait s’emparer de la vérité comme d’un objet qu’il pourrait maîtriser, sans se remettre en question. Quand bien même il était bourré de questions. Or, c’est bien comme une vérité personnelle, intime, qu’il découvre le Christ, celui que, dans d’autres textes, il appelle le Maître intérieur. Écouter Jésus, c’est l’accepter comme Maître intérieur.

Il y a quelque chose de paradoxal d’insister sur cette intériorité, alors que les humains sont en pleine conquête de l’espace, à la recherche des exoplanètes, des trous noirs, des secrets de la formation de l’univers ; que l’on se trouve en plein combat climatique, que nos autorités se donnent comme but d’introduire le numérique dès les petites classes à l’école… Des projets de maîtrise de l’extérieur. Cependant, le monde de l’intérieur n’est pas moins vaste, il n’est pas moins peuplé d’enjeux et de questions. C’est par l’Esprit Saint, dit la Bible, que la voix du Christ se fait entendre dans notre intérieur, pour le réordonner. L’écouter, c’est faire l’expérience de sa présence, le laisser exercer sa critique dans le forum de toutes les pensées, désirs, pulsions et questions qui nous habitent. Il y a une correspondance étroite entre l’intérieur et l’extérieur : à terme, notre tâche consiste à les réconcilier.

4. La parole extérieure et l’imitation

Suivre Jésus ne se résume pas à l’écoute intérieure. Suivre Jésus, c’est également l’imiter. « Et vous, écrivait Paul aux chrétiens de Thessalonique, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, accueillant la parole en pleine détresse, avec la joie de l’Esprit Saint : ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et d’Achaïe. » L’imitation a mauvaise presse, parce qu’on y voit une adaptation servile et une perte d’autonomie. Ce n’est évidement pas ce genre d’imitation que l’apôtre Paul veut promouvoir. Ce qu’il désire, c’est offrir une référence extérieure, qui puisse aider les croyants dans leur travail intérieur, leur éviter de tourner en rond, de dériver vers des extrêmes ou vers l’absurde, leur donner des points de repère. Si on se méfie tellement de l’imitation, ce n’est évidemment pas sans raisons. Les humains apprennent en imitant. Mais beaucoup vont trop loin en copiant leurs modèles. Nous voyons les adolescentes et adolescents reprendre l’habillement de leurs stars fétiches, la contamination des comportements à risque, l’attraction des figures de proue, l’influence énorme de la publicité… [Les imitateurs qui font rire à cause du décalage qu’induisent leurs imitations] Dans le cadre du christianisme aussi, nous avons connu l’imitation littérale et systématique que St François d’Assise a faite du mode de vie du Jésus terrestre. Admirable, mais pas à recommander… Les Réformateurs, vous le savez, ont jugé de manière très défavorable le culte des saints et le monachisme, qui avaient atteint un très grand développement.


Et pourtant, nous avons besoin, pour suivre Jésus, de ces repères extérieurs que sont les paroles qu’il a prononcées, transmises par les évangiles. Les paraboles de Jésus sur le Royaume, sur la gratuité du don de Dieu, sur l’amour et ses exigences sont pour nous des balises absolument précieuses et même indispensables. Cependant, nous ne les adoptons pas littéralement, nous les interprétons en fonction de notre situation et des problèmes actuels : notre imitation n’est pas servile, mais créative. De même ce que nous connaissons de l’attitude de Jésus dans la société de son temps, ses mises en garde contre le pouvoir et la richesse, son choix affirmé pour la pauvreté, le service et le don de soi, son engagement jusqu’à la mort nous donnent des lignes de conduite claires : nous avons dans son comportement des éléments à imiter, tout en les transposant intelligemment et de manière efficace dans notre situation. Ce que nous appelons « incarnation », le fait d’avoir dans l’existence terrestre et concrète de Jésus une image du projet d’amour de Dieu, est une chance inouïe. Suivre Jésus, je résume, c’est donc l’écouter intérieurement et l’imiter extérieurement.

5. Être un modèle…

Pour quelle finalité, sinon celle d’être nous-mêmes heureux en le suivant ? D’expérimenter, comme les disciples, la joie des Béatitudes, dans l’anticipation du Royaume de Dieu. Mais l’apôtre Paul voyait une autre finalité. S’adressant aux croyants de Thessalonique, il les louait d’être devenus un exemple, un modèle pour les autres communautés. C’est également un modèle que nous avons à être, dans la suivance de Jésus ; à condition de ne pas comprendre ce terme de « modèle » dans un sens moral, mais dans le sens scientifique : un modèle est une forme, liée à un système de données, dont on s’inspire pour des réalisations concrètes. En fait, il s’agit d’offrir, par ses choix, par son expérience de vie, des repères pour les autres. Rien de plus important dans une société qui va dans tous les sens et où les modèles prééminents sont ceux de la consommation et de la résolution des problèmes par la force. C’est pourquoi, aujourd’hui, suivre Jésus doit être notre préoccupation et notre bonheur capital.

Donné à Vufflens-la-Ville le 02.06.2019

René Blanchet