« IL N’Y A PAS À TREMBLER DEVANT DIEU », DIT LE PÉCHEUR (Psaume 36)

Psaume 36 : « Il n’y a pas à trembler devant Dieu,
dit le pécheur
»

Lecture, en conclusion : Romains 8, 31-39

v.1. Du chef de chœur. Du serviteur de Yahvé, de David.

Les psaumes sont des prières, supplications ou louanges, pour la plupart, qui étaient chantés au cours de célébrations. Il y eut à l’origine un livret intitulé « Psaumes de David »; car la tradition attribuait à David, qui passait pour joueur de lyre et poète, la création des psaumes. Ce livret a ensuite été élargi, puis complété par d’autres collections, les psaumes d’Asaph, les psaumes de Coré, et d’autres.

Malgré sa suscription qui nomme David, le psaume 36, sur lequel nous allons nous concentrer, est bien plus récent, à dater de l’époque post-exilique, au moins cinq siècles après David (1010-970 env). Avant que nous le chantions, tout-à-l’heure, je me propose maintenant de le commenter, strophe après strophe : il repose sur une expérience douloureuse, il contient des questions qui nous intéressent, il manifeste aussi de la confiance en Dieu.

v.2 Cette formule de révolte du méchant au milieu de mon cœur : à ses yeux, il n’y a pas à trembler devant Dieu.
v.3 Car il se voit d’un œil trop flatteur pour trouver sa faute et la détester.1

Ces premiers versets donnent beaucoup de fil à retordre aux exégètes, car le texte est ici corrompu et incertain. Cela arrive fréquemment dans les psaumes, comme souvent dans tous les textes anciens, et rend leur lecture difficile. L’hébreu est une langue délicate, il suffit de toucher à une lettre, et le sens du mot est complètement changé. Néanmoins, nous comprenons tout de suite le choc émotionnel que ressent le psalmiste, confronté à cette formule qu’il entend dans la bouche de l’infidèle : « il n’y a pas à trembler devant Dieu ». L’infidèle n’affirme pas, comme les athées modernes, que Dieu n’existe pas, mais il dit que Dieu est inefficace, impuissant, et il en profite. C’est donc en évoquant une situation troublante que commence ce psaume. Son auteur, croyant, nourri par la parole des prophètes, subit l’assaut d’une parole contraire, celle de l’incroyant. Nous comprenons bien ce trouble du psalmiste, parce que nous faisons journellement des expériences très semblables. Nous sommes confrontés, dans notre société, à une majorité de gens qui ne croient plus. Et face à l’accumulation de catastrophes naturelles meurtrières, de guerres épouvantables, de désunions grandissantes dans les populations, nous en venons nous-mêmes à penser qu’en effet, Dieu est inefficace, impuissant. Ou en tout cas, qu’il n’agit pas du tout comme nous l’attendons. Il laisse le mal se répandre et les méchants proliférer, ce mal dans lequel nous sommes souvent nous-mêmes entraînés. De sorte que nous sommes inévitablement engagés dans une lutte entre le bien et le mal, entre ce que nous considérons comme juste et bon pour le monde et pour nous, et ce que nous estimons pervers. Nous ne pouvons pas échapper à la question restée insoluble : pourquoi Dieu ne nous évite-t-il pas ce combat, en y mettant fin, en nous assurant immédiatement de la victoire ? Pourquoi Dieu tolère-t-il le mal ?

v. 4 Il (le pécheur) n’a que méfait et tromperie à la bouche, il a perdu le sens du bien.
v.5 Sur sa couche, il prémédite un méfait : il s’obstine dans une voie qui n’est pas bonne, il ne rejette pas le mal.

Dans son désarroi, le psalmiste interprète l’attitude du pécheur comme étant animée par de l’orgueil et de l’arrogance. Rejetant Dieu, l’infidèle se centre sur lui-même et ne voit plus clairement les choix qu’il doit opérer. Il n’entre pas dans la lutte du bien et du mal, il a perdu tout repère. Il ne peut donc qu’errer et faire des folies, suivant la route trop facile de ses désirs.

Si je saute d’un bond jusqu’à notre époque, je constate que la question morale, celle de la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste, n’est pas absente de notre société : elle est même régulièrement et abondamment présentée dans les journaux et les médias, à propos des situations humaines les plus diverses. Mais cela n’empêche nullement la continuation de nombreuses transgressions. C’est qu’il ne suffit pas de savoir distinguer le mal, il faut encore vouloir le bien. Et pour cela, il faut une motivation particulière que notre psalmiste a eu la chance de recevoir.

v.6 Yahvé, ta bonté est dans les cieux, ta fidélité va jusqu’aux nues.
v.7 Ta justice est pareille aux montagnes divines, et tes jugements au grand Abîme.

Volte-face du psalmiste qui laisse de côté son irritation à l’encontre du pécheur pour chanter la louange de Dieu. Il ne veut rien expliquer, – il ne le peut pas – mais il nous communique son expérience : son admiration pour la grandeur d’un Dieu qui remplit et dépasse l’univers. Il nomme la tendresse de Dieu, sa loyauté sans pareille, sa justice, qui n’est pas une condamnation, mais la rectitude de sa relation avec les humains ; il cite ses jugements qui sont les avis de droit, les règles selon lesquelles nous devons agir. Bonté, fidélité, justice, jugements divins, voilà ce qui motive le croyant, voilà les repères qui lui permettent de suivre une bonne voie. Il en a l’intuition en contemplant l’immensité merveilleuse de la création. Il les trouve plus directement dans la Parole des prophètes et les commentaires des prêtres et des rabbins.

Nous sommes certes des êtres de désir, l’impie ne manquera pas de le rappeler. Mais pas uniquement : nous cherchons aussi des critères à appliquer à nos désirs, pour en quelque sorte faire le tri entre nos désirs ; car nous voyons bien que sans discernement, notre vie sera complètement désordonnée, incohérente, disloquée. Nous désirons être tel homme, telle femme, nous désirons mener telle existence, en rapport avec le monde, avec les autres. Et là, nous apprenons qu’il y a des valeurs à privilégier, à désirer. C’est cette structure de valeurs, ce socle que le psalmiste reconnaît dans l’expérience spirituelle qu’il fait dans sa rencontre avec Dieu. Il précise cette expérience de Dieu dans les versets suivants.

v. 7b Yahvé, tu sauves hommes et bêtes.
v. 8 Dieu, qu’elle est précieuse ta bonté ! Les hommes se réfugient à l’ombre de tes ailes.
v.9 Ils se gavent des mets plantureux de ta maison et tu les abreuves au fleuve de tes délices.

Oui, malgré tout, Dieu agit. Il ne se contente pas de nous révéler les critères du bien. Il est éternellement le créateur d’une création qui se réalise et se renouvelle à chaque instant ; une création continue, comme le disaient déjà les théologiens les plus anciens. Dieu nous communique la vie et de quoi vivre. Le psaume fait allusion aux sacrifices de communion qui avaient lieu dans le Temple de Jérusalem, une occasion également ouverte aux plus pauvres, de participer aux joyeux festins et de consommer les viandes sacrifiées.

v. 10 Car chez toi est la fontaine de la vie, à ta lumière nous voyons la lumière.
v. 11 Maintiens ta bonté pour ceux qui te connaissent et ta justice pour les cœurs droits.

Ces versets résonnent comme une confession de foi. Dieu est une source de vie débordante. C’est vers lui qu’il faut se tourner. C’est lui qui éclaire la réalité : lumière qui chasse les ténèbres, il nous permet de marcher sans tomber, sans nous perdre. De sa lumière, nous recevons conscience et connaissance. A chaque instant. Sans son rayonnement, tout nous deviendrait obscur, la réalité s’effacerait, ne subsisterait que l’informe du chaos. C’est pourquoi le psaume se poursuit par une demande : prolonge, ô Dieu, ton action, pour tous ceux qui te reconnaissent, étends-la à tous les hommes droits.

v. 12 Que l’arrogant ne mette pas le pied chez moi, que la main des infidèles ne me chasse pas !
v. 13 Là sont tombés les malfaisants, renversés, ils n’ont pu se relever.

Le psaume aurait pu s’arrêter au v. 11, sur les belles paroles de foi que nous avons lues. Pourquoi revenir sur l’attitude du méchant ? Pourquoi, sinon parce que la lutte contre le mal n’est pas terminée, et que le psalmiste reste intrigué, voire obsédé, par la menace qui émane du comportement du pécheur. La scandaleuse liberté que Dieu nous accorde, et qui implique la possibilité même des déséquilibres dans sa création, a pour conséquence que le mal peut resurgir à tout moment. Le psalmiste ressent donc sa fragilité, il est conscient du danger de représailles ou de persécution dont il peut être victime. Il a besoin de protection, de sécurité. Nous pouvons le comprendre, nous qui constatons une recrudescence de la persécution antichrétienne dans bien des pays, une mise à l’écart ou un rejet un peu partout. A la menace extérieure, s’ajoute celle d’un écroulement intérieur du christianisme en Occident. Cependant, à ces accès d’inquiétude, le psalmiste répond lui-même : , c’est-à-dire dans le Temple, là où il goûte la présence de Dieu et où retentit sa Parole, il reçoit l’assurance que le mal est vaincu, que Dieu donne la victoire. Il n’a pas à avoir peur.

Et peut-être va-t-il plus loin encore dans sa méditation, se disant que l’incroyant n’avait pas entièrement tort quand il affirmait « qu’il n’y avait pas trembler devant Dieu ». En effet, sans le savoir, comme cela arrive souvent, l’infidèle avait énoncé une vérité : il n’y a pas à avoir peur de Dieu, jamais.

« Si Dieu est pour nous, qui peut être contre nous ?» écrivait l’apôtre Paul. Nous avons probablement nous aussi un grand travail à faire pour ne plus avoir peur de Dieu et pour faire vraiment confiance à son amour, à sa fidélité, à sa justice, à son bonté, dans le détail de nos existences.

Donné à Cossonay le 9 juin 2024
René Blanchet

1 Traduction œcuménique de la Bible (TOB), avec quelques modifications.