La citation du mois : HANS KÜNG

Hans Küng, Faire confiance à la vie. Points, Sagesses 305, Seuil, 2010, p.281-283.

…Face à la cruauté de la Shoah, je peux et dois dire ce ceci: si Dieu existe, il était aussi à Auschwitz! Des croyants de religions et de confessions diverses ont prié Dieu même dans cette usine de la mort. Ils ont, dans la souffrance et la mort, tenu ferme : malgré tout… Dieu est vivant. Mais la question demeure sans réponse : comment Dieu pouvait-il être à Auschwitz sans empêcher Auschwitz ?…

Aucun des grands esprits de l’humanité que j’ai étudiés ni Augustin, ni Thomas, ni Calvin, et pas davantage Leibniz, Hegel ou Karl Barth – n’a résolu ce problème originaire. « Sur l’échec de toute tentative en matière de théodicée« , écrivait Kant en 1791, alors qu’à Paris on songeait à une destitution de Dieu et qu’on entreprenait son remplacement par la déesse Raison. J’aimerais pourtant demander en sens inverse aux athées : la raison, voire l’athéisme donnent-ils la solution ? Un athéisme qui ferait d’Auschwitz son gage ? Auschwitz serait-il le roc par excellence de l’athéisme? lci une question s’impose à moi : est-ce qu’il se pourrait que l’athéisme explique mieux le monde, sa grandeur et sa misère ? L’incroyant explique-t-il en définitive le monde tel qu’il est en réalité ? Et l’incroyant peut-il consoler de la souffrance inconcevable et absurde d’innocents ? Comme si, dans une souffrance de ce genre, la ratio incroyante n’avait pas elle aussi ses limites ! Non, celui qui s’oppose à la théologie n’est absolument pas mieux nanti ici que le théologien.

Mon jugement, renforcé au cours des décennies et auquel je n’ai jusqu’à présent trouvé aucune alternative convaincante, est donc celui-ci : la souffrance, la souffrance trop grande, innocente et insensée — individuelle ou collective – ne saurait être comprise en théorie, mais, dans le meilleur des cas, elle peut être surmontée en pratique. Pour les chrétiens et les juifs, il y a seulement une réponse pratique au problème de la théodicée.