La citation du mois : FRANÇOIS JULLIEN

François Jullien, Ressources du christianisme , L’Herne, 2018, pp. 100-102

Or tout se joue, en définitive, dans ce décalage : de « croire à » à « croire en ». Ce à quoi on croit, quand on dit croire à, est d’emblée borné, restreint, objectivé (même quand c’est à l’existence de Dieu qu’on croit). Mais croire en, c’est-à-dire en un soi, en une ipséité, est, non pas indéfini, mais infini. Quand je dis : « je crois en toi », aucune limite n’est envisagée. De même, croire à peut être détaillé et morcelé : je peux croire à ceci, mais non à cela, et faire un tri. Mais croire en nécessairement est entier ; un absolu est engagé. Si Je dis : je crois en toi, je ne me demande plus, en toi, « à quoi » je crois. Ou bien encore croire à nécessairement garde une part de crédulité, même si j’ai de bonnes raisons d’y croire, car ce à quoi je crois je pourrais aussi ne pas croire et j’en reconnais le caractère hypothétique (comme on croit au Père Noël).

Or croire en n’est pas crédule, mais confiant : croire en toi, comme le dit un parent à son enfant, ou bien l’inverse, ou l’amant à l’amante, signifie que je compte sur toi, c’est-à-dire que je mets mon attente, que j’investis mon espoir en toi, en toi tel qu’en toi-même, dans ton ipséité, ou que j’attends tout de toi. Croire en, de fait, engage un soi-même, une ipséité, des deux côtés. De la part de celui qui croit en : c’est tout lui-même qui s’y trouve engagé. De la part de celui en qui on croit : c’est en ce que tu révèles toi-même de toi-même, mais aussi en ce qui s’y recèle, que je crois. Croire à peut être convaincu, sa vérité n’en trahit pas moins un insuffisant fondement, j’y préférerais un savoir assuré. Mais la vérité d’un croire en, du fait justement que c’est ce tel qu’en soi-même qui s’y trouve convoqué, ne se mesure plus avec une vérité qui serait prouvée, car elle est elle-même son attestation et ne peut en revendiquer d’autre. Il faut croire en moi, dit le Christ, et non pas à ce qu’on dit de moi…