SPIRITUALITÉ ET MÉDITATION
Lectures : 2 Pierre 1, 3-11; Matthieu 13,18-23
1. Observances ou obéissance ?
Certaines manières de pratiquer la foi nous étonnent. Ainsi celles des juifs orthodoxes, auxquels les règles du sabbat interdisent de faire des actes qui puissent être assimilés à un travail, ou de parcourir plus de 900 pas, par exemple. On sait que dans les quartiers juifs modernes, les ascenseurs sont automatiques, pour éviter aux usagers de devoir presser sur un bouton – un travail ! La règle veut aussi que l’on ne transporte pas d’objet hors de sa propriété, ce qui complique beaucoup la vie. Dans les pays de l’Est, on essayait parfois d’étendre la notion de propriété, en installant une barrière provisoire tout autour d’un hameau. On raconte aussi que le représentant d’une communauté juive s’en vint auprès du maire d’une ville lui demander à pouvoir l’acheter – fictivement – pour 20 Mark…
Ces pratiques tatillonnes de la Loi nous paraissent ridicules ou hypocrites ; Jésus et les premiers chrétiens n’ont pas manqué de les critiquer. Mais leur persistance à travers les siècles nous obligent à admettre que cette manière d’observer la Loi à la lettre et jusqu’à l’absurde répond à une conviction : pour les Juifs orthodoxes, la Loi est vraiment une révélation de Dieu, une révélation objective qui réclame une obéissance aveugle et sans condition. Et cette Loi, il faut l’aimer, comme l’exprime continuellement le Psaume 119 : « A suivre tes exigences, j’ai trouvé la joie, comme au comble de la fortune…Combien j’aime ta Loi, tous les jours je la médite. »Certains théologiens juifs d’aujourd’hui défendent cette obéissance objective, en critiquant d’autre part notre notion chrétienne de foi, qu’ils jugent dangereusement subjective et même païenne !
2. La foi intérieure
Effectivement, il y a du subjectif dans la foi chrétienne. La foi ne consiste ni en une répétition littérale de la Bible, ni en une adhésion intellectuelle à des dogmes imposés, en obéissance aveugle à l’Église, selon une conception ultra-catholique romaine. La foi est une adhésion intérieure et une libre obéissance qui répond à un appel, une interpellation de l’Évangile qui touche note cœur et notre conscience ; elle est une quête de Dieu et de son exigence, à laquelle répond un engagement, une action concrète volontaire ; elle accentue donc la réponse de l’homme et la nécessaire interprétation qu’il doit faire de l’Écriture. Il ne la fait cependant pas arbitrairement, parce qu’il s’appuie sur des propositions théologiques et éthiques préparées par les théologiens et reprises par les Églises. La foi a donc du subjectif et de l’objectif. Mais nous devons bien remarquer qu’aujourd’hui, il existe parmi les chrétiens une forte accentuation sur le côté subjectif et même individuel de la foi. Un besoin général se fait sentir pour valoriser l’aspect intérieur de la foi : la foi comme travail sur soi, comme moyen d’atteindre la maîtrise de soi, la paix intérieure, la sérénité,, la joie, voire le bonheur. Nous rejoignons là une tendance actuelle plus large qu’on appelle « spiritualité » et dont on parle beaucoup dans tous les médias. Notons que cette valorisation de la foi intérieure a toujours existé dans le christianisme : il n’est que de se souvenir des mouvements monastiques, des renouveaux évangéliques, des Frères de la vie commune, et du livre fameux « L’Imitation de Jésus-Christ », au Bas Moyen-âge. La Réforme l’a mise en avant, Calvin insistant sur ce qu’il a appelle la sanctification, un mouvement de progrès de la foi personnelle, relayé plus tard par le piétisme allemand.
3. La méditation, une écoute
Cependant, la demande actuelle de spiritualité déborde le christianisme et l’Église. Au contraire, on désire mettre de la distance avec l’Église, qui est soupçonnée d’étroitesse ou d’impérialisme, et on veut être ouvert à ce que proposent d’autres religions, comme l’hindouisme et le bouddhisme. Dans ce contexte pluraliste, la quête porte souvent sur des techniques de méditation, de concentration sur des attitudes corporelles, censées nous aider à sortir des soucis quotidiens pour nous faire accéder à un état de conscience supérieure. Certains adeptes de la méditation cherchent plutôt un accord avec le cosmos, désirant entrer en résonance avec ses bonnes énergies ou ses bonnes ondes. «Celui qui n’est pas contre moi est pour moi », disait Jésus. Même si le désir de spiritualité essaie de se démarquer de l’Église, il participe d’une quête qui nous intéresse aussi, nous chrétiens. Le mot spiritualité désigne originellement ce qui se rapporte à l’Esprit. Et c’est bien quelque chose qui n’est pas totalement étranger à la force du St-Esprit qui est visé par les méthodes méditatives mises en jeu.
D’autant qu’elles puisent souvent beaucoup dans le trésor juif et chrétien. Qui privilégie l’écoute. Il s’agit d’écouter la parole que Dieu nous adresse. […] Cependant, pour comprendre ce que la parole de Dieu a d’indicible, l’écoute a partie liée avec la méditation de l’Écriture. Si aujourd’hui on fait grand cas de la méditation, nous devons savoir qu’elle est très présente dans toute la Bible. Méditer et écouter sont très proches. Je médite pour pouvoir entendre. Les auteurs bibliques conçoivent la méditation comme une réflexion intense, comme une manière de faire pénétrer le sens des paroles dans son cœur. L’Ancien Testament comme les premiers théologiens parlaient de la manducation de la Parole : nous devons la mâcher, lentement, longuement, pour l’ingérer afin qu’elle soit nourrissante. L’Évangile de Jean osera affirmer que nous avons à manger celui qui est la Parole, le Pain descendu du ciel, manger la chair et le sang du Christ, ce que nous ferons symboliquement en partageant la Cène. La méditation est éminemment subjective, mais elle n’enferme pas sur soi-même, car la parole reçue est interpellatrice, elle est un appel qui pousse à agir, à l’extérieur de soi. Même si la spiritualité biblique et chrétienne est subjective, dans le sens où elle nous implique au plus profond, elle a cette particularité d’être centrée sur un objectif, une tâche qui lui est donnée.
4. Une recherche commune
Cet objectif nous lie ensemble ; il n’est pas bon que l’homme spirituel soit seul, en dépit du caractère individualiste de la vogue spirituelle actuelle. La communauté chrétienne reste une démonstration du fait qu’il existe une solidarité spirituelle à reconnaître et à cultiver. L’Église apporte l’encouragement dans notre recherche spirituelle, l’interpellation mutuelle pour exciter notre attention, le partage et la critique pour stimuler et perfectionner notre réflexion. Nous avons à trouver, avec le temps, dans la longue durée, un langage pour communiquer le résultat de notre quête. […]
Notre culte est-il ou n’est-il pas assez une école de méditation ? Est-il trop ou pas assez spirituel ? Fait-il suffisamment la balance entre le subjectif et l’objectif ? A ces questions délicates, dont la réponse variera en fonction des personnes auxquelles on s’adresse, je répondrai que, tout en conservant ce qui, symboliquement, nous lie ensemble par-dessus les frontières, nous devons entrer dans une grosse tâche d’exploration. Et cela en écoutant, ensemble et toujours mieux, sans vouloir produire de gros effets.
Donné à Ferreyres le 27.04.2008
René Blanchet