Lectures : Esaïe 51, 4-6 ; Actes 19, 1-6, Matthieu 3, 1-12
1. Une voix crie…
Nous avons été mis en présence avec la figure de Jean-Baptiste : je vous propose que nous ne nous attardions pas sur l’exotisme du personnage, que nous ne nous interrogions pas sur le restaurant 3 étoiles qui lui préparait son menu habituel, ni sur le styliste qui lui avait confectionné son smoking en poil de chameau. Car il est d’abord pour nous une « voix qui crie dans le désert », une voix de Dieu. Les 4 évangélistes lui font une place dans leur livre et donc le considèrent comme partie prenante de l’Évangile du Christ. Sa voix est l’un des multiples relais de la Parole de Dieu qui n’a cessé de crier vers nous, jusqu’à celle du Christ qui en est l’incarnation accomplie. Or, ce que Jean-Baptiste crie aux foules qui viennent vers lui, c’est un appel à la conversion, face au Royaume qui s’approche. Jésus, après lui, lancera le même appel : « Convertissez-vous, le Royaume de Dieu s’est approché ».
2. La conversion problématique ?
Il nous faut l’avouer : dans notre Église, le langage de la conversion n’est pas très porteur. Immédiatement, il nous donne l’impression de quelque chose de moralisant et d’émotionnel. La conversion, nous l’abandonnons aux évangéliques, qui en font le fer de lance de leur pratique, aux missionnaires. Ce n’est pas qu’elle serait pour nous sans importance, mais nous avons des craintes, à cause de toutes les possibilités de conversion inauthentique, parfois d’autant plus inauthentique qu’elle est plus affirmée. Les discours et les pratiques des télévangélistes américains ou brésiliens ne contribuent pas à nous rassurer sur ce point. Nous n’oublions pas comment Jean-Baptiste s’était adressé aux Pharisiens, les traitant d’« engeance de vipères »à cause de leur hypocrisie. D’autre part, nous n’aimons pas que, d’une manière ou d’une autre, une conversion soit forcée, en usant de pressions, par bourrage de crâne, ou en enveloppant les gens d’un cocon de « pieuseries ». Pour toutes ces raisons, nous sommes relativement discrets sur ce chapitre. Trop discrets, je crois, en regard de la présence massive de l’appel à la conversion dans toute la Bible. « Revenez vers Yahvé, votre Dieu »,disaient les prophètes. Le langage du retour est central dans l’Ancien Testament. « Changez vos cœurs de pierre en cœurs de chair », écrivent-ils. Et nous, ce matin, nous entendons cette voix de Jean-Baptiste, que Jésus va amplifier : convertissez-vous ou changez de comportement.
3. Une réorientation
Le mouvement de conversion consiste en une réorientation à 180°, en un retournement de son existence, en une volte-face. Les lettres de Paul insistent auprès de leurs lecteurs sur le fait que la foi détermine un avant et un après dans leur existence. L’Évangile les a arrêtés dans leur course, puis les a remis en mouvement dans une autre direction. Il les a sortis de l’obscurité dans laquelle ils erraient, pour les mettre dans la lumière du Ressuscité. Il les a tirés de leur sommeil quasi mortel, et les a réveillés pour vivre en pleine conscience et vigilance. Ce n’est donc pas par hasard que le mouvement de revitalisation spirituelle qui travaillé nos régions au 19ème siècle s’est donné pour nom le « Réveil ». La conversion implique donc une rupture entre un état ancien et un état nouveau. Mais à ce propos, il faut faire deux remarques importantes. La première concerne le niveau où s’opère la conversion : elle n’est pas d’abord morale ou sociale, mais théologique et spirituelle ; c’est vers Dieu que nous sommes appelés à revenir, vers Christ que nous sommes invités à nous tourner. Et non, d’abord, vers tel ou tel style de vie. Les styles de vie chrétiens sont très divers et on ne demandera pas à un chrétien indien ou chinois d’avoir le même que le nôtre. La première coupure concerne donc nos dieux, dont Luther disait qu’ils représentaient ce en quoi notre existence était totalement impliquée. Justement, parce que c’est face à Dieu que nous nous tournons, à cause de ce vis-à-vis, la conversion ne peut que nous concerner tout entiers et au plus profond. Le baptême que pratiquait Jean, et qui a été repris par les chrétiens, vient souligner cette implication par un acte qui vise tout le corps, soit toute la personne du baptisé. C’est pourquoi, il me semble impossible qu’on puisse oublier la conversion dans l’Église, ne pas vouloir en parler, ou renoncer à l’enseigner. Personne ne peut faire taire la voix qui crie dans le désert ! La deuxième remarque que je voudrais faire concerne la coupure que le mouvement de conversion établit entre l’avant et l’après, entre une ancienne vie et la nouvelle. Cette coupure ou cette rupture, nous n’avons pas à l’opérer une fois seulement, mais continuellement, toute la vie. Il y a sans doute une première fois, qui a été décisive et dont nous avons peut-être gardé un souvenir plus ou moins exact. Un théologien, quand des piétistes lui demandaient quand et où il s’était converti, répondait : à Golgotha ! Il aurait pu dire aussi : à Noël ! Oui, c’est continuellement que nous avons à faire la différence, dans notre foi, dans notre existence, entre ce qui appartient aux ténèbres et ce qui est lumière, entre ce qui est sommeil et ce qui est conscience, entre la mort et la vie. Faire cette différence, se positionner, décider de notre appartenance et de notre obéissance, c’est la tâche toujours à reprendre et le combat de toute notre vie de chrétien.
4. Conversion vs repentance
Ce qui me permet maintenant d’éclairer la confusion, voire l’embrouillamini que l’on fait souvent entre les expressions « se convertir » et « se repentir ». Il est mieux de ne pas utiliser ces expressions l’une pour l’autre, même si elles visent la même réalité et si elles sont simultanées. La conversion désigne notre réorientation vers Dieu, c’est le regard que nous portons vers l’avant de notre marche, tandis que la repentance représente notre coup d’œil vers l’arrière, avec les arrachements, les renoncements, les corrections que ce changement implique, ainsi que les fruits nouveaux qu’il produit. Pas de conversion qui ne soit accompagnée de repentance, nous le concevons très bien, je crois. Mais pas de repentance, ni de fruits non plus, sans conversion.
Jean-Baptiste insistait sur ces fruits qu’il ne voyait pas chez les Pharisiens et les Sadducéens comme signe et conséquence de leur conversion. Il pensait à des actions de justice et de compassion. Ce qui nous interpelle, car nous nous demandons si nous en produisons suffisamment, nous aussi, et de bonne qualité. Mais, précisément, les fruits ne se fabriquent pas, ils poussent là où ils trouvent le sol et la nourriture qui leur convient. Le message de Jean-Baptiste n’est pas celui de l’activisme, mais c’est la bonne nouvelle du Royaume et du retournement.
5. Baptisés dans l’Esprit saint
Personne ne se convertit tout seul, pour en tirer gloire, personne n’opère ce changement de mentalité et de comportement sans qu’il y soit incité, sans qu’il y soit appelé. Il s’agit certainement d’une décision toute personnelle, d’un acte de volonté pleinement humain ; mais c’est un mouvement de réponse à un autre mouvement qui nous interpelle, celui de Dieu qui fait approcher son Règne. Voilà ce que Jean-Baptiste proclamait, en termes assez menaçants, à vrai dire, parce qu’il voyait la venue de Dieu comme celle d’un Juge. « La hache est prête à attaquer la racine des arbres », disait-il. « Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé ». La conversion est l’acceptation du jugement de Dieu sur nous. Nous acceptons qu’il fasse le tri entre ce qui est sain et ce qui est stérile en nous, qu’il enlève de nous ce qui est sec et mort. Qu’il ôte nos péchés. Nous revivons alors comme une pousse neuve. Tant que le Jugement est devant nous, hors de nous, il peut nous faire peur. Mais au moment où nous l’accueillons pour être appliqué en nous, il produit de la vie. Nous le voyons bien : se convertir coïncide avec être converti par Dieu. Prétendons-nous pouvoir nous y soustraire ?
« Moi, je vous baptise dans l’eau en vue de la conversion, déclare Jean-Baptiste, …lui il vous baptisera dans l’Esprit saint »… Le Christ s’inscrit en continuité avec le message de l’Ancien Testament. Pourtant, – et c’est ce qui fait qu’on l’appelle maintenant Évangile, Bonne nouvelle, Jésus a été l’occasion d’une plus grande proximité de Dieu, d’une présence ultime de Dieu. Il a dévoilé complètement son visage de grâce, sa volonté d’amour et de pardon. Il a apporté une tonalité nouvelle à la Parole de Dieu et l’a rendue efficace, tellement qu’elle a changé le monde. Il a fait de la conversion une libération, de sorte qu’il est dit de l’eunuque éthiopien, après son baptême au bord de la route : « il poursuivit son chemin tout joyeux ». Voilà qui doit nous inciter à considérer le message de la conversion comme une chance, faisant partie intégrante de l’Évangile.
Donné à La Chaux et à Cossonay le 09.12.2007
René Blanchet