CROIRE LA SAINTE ÉGLISE UNIVERSELLE ?


CROIRE LA SAINTE ÉGLISE UNIVERSELLE ?

Lectures : Actes 14,21-23 ; 1 Corinthiens 12,12-16 ;
Jean 10,11-16

1. Marginalisée…

Nous nous trouvons réunis dans une belle église historique. Murs épais, verrières colorées, aspect massif : nous sommes à l’abri, protégés de l’extérieur. Ce lieu est inspirant, mais n’avez-vous pas parfois l’impression d’être enfermés dans un ghetto ? Le monde nous a mis en marge. Face à notre société technique, capitaliste, de consommation, qui réduit ses membres à n’être que des agents laborieux du marché, nous sommes en complet décalage… et bien peu nombreux. Il y a longtemps que ces changements opèrent, mais c’est comme si nous étions maintenant pris de vitesse. Que faire pour briser le malentendu, pour être compris dans ce qui nous anime en tant que chrétiens ? Pour intéresser des individualistes indifférents, parfois méprisants, à ce que représente l’Église dont nous faisons partie ?

2. Empirique et spirituelle

De nombreuses recettes sont proposées pour aider l’Église empirique, celle qui rassemble les êtres de chair que nous sommes, l’Église-institution. Dans notre canton, le Conseil synodal a diagnostiqué une gouvernance insuffisante, un manque d’autorité. D’ailleurs, il semble que dans le monde entier, on se persuade qu’on a besoin d’un chef, un homme fort, qui puisse imposer ses vues et mettre de l’ordre. L’ordre, est-ce vraiment le résultat que vous observez ? J’ai plutôt l’impression d’un surcroît de chaos.

Nous avons entendu tout-à-l’heure un extrait de la parabole du bon Berger : le Christ n’agit pas par contrainte. Le berger a livré sa propre vie pour ses brebis. C’est à sa voix que les brebis réagissent et obéissent, est-il écrit dans l’évangile de Jean. Par sa voix, le berger sécurise la vie du troupeau, lui assure sa nourriture, le protège et maintient son unité. L’autorité du Christ est spirituelle.

La dimension principale de l’Église est également spirituelle. Là où des hommes et des femmes écoutent la Parole de Dieu, lui obéissent et sont réengendrés par elle, là est l’Église, répétait Luther. L’Église est creatura Verbi, une création de la Parole de Dieu. Par sa Parole, Dieu nous appelle, et par cet appel il forme le peuple qui constitue l’Église. L’Église nous précède donc, et c’est en elle et grâce à elle que nous connaissons la Parole de Dieu : elle est le lieu de la révélation de la Bonne nouvelle, de la Vie nouvelle, de l’Être nouveau. Nous sommes peut-être des habitués, mais nous ne sommes pas les piliers de l’Église : c’est le Christ et sa Parole qui en sont le fondement et font d’elle un édifice spirituel.

3. Une Église à croire

Ce n’est donc pas pour rien que dans le dit « Symbole des apôtres », le quatrième article énonce : « Je crois la sainte Église universelle ». Le terme grec est « katholikè », qui signifie donc universelle. L’Église est donc à croire. Précisons (nous basant du moins sur les versions latines) qu’il n’est pas dit « Je crois en l’Église universelle, comme il est dit plus haut « Je crois en Dieu le Père, je crois en Jésus-Christ ». Il s’agit de croire à la réalité de l’entité « Église », de se confier en elle, mais seulement en tant que le Dieu trinitaire est sa source et la finalité de notre foi. Si nous voulons un renouveau de l’Église, nous devons bien croire à elle, avoir confiance en elle, la respecter, et même l’aimer. Nous laisser ronger par le souci ou désespérer, parce que nous ne sommes plus qu’une poignée de fidèles, ne correspond pas à l’affirmation du Credo : « Je crois ».

Il en ressort que l’Église ne m’appartient pas : le caissier de notre Église vaudoise me disait que les gens étaient très généreux ; mais ce ne sont pas mes cotisations ou mes dons qui la font « marcher ». L’Église n’est pas fondamentalement une association de gens pieux ou fidèles, comme on l’a définie au 19ème siècle, même si c’est le modèle qui prévaut encore aujourd’hui : une association religieuse. Finalement une secte, qui se fonde sur les convictions et l’enthousiasme de ses adhérents. Si l’Église n’appartient pas aux fidèles, elle n’appartient pas non plus à l’État ou au peuple : elle ne peut pas être une institution étatique ou populaire. Elle ne peut même pas se résumer à une organisation religieuse dirigée et organisée par des prêtres. En fait l’Église, en tant que corps spirituel est libre, ne dépendant en principe que de la Parole de Dieu et de l’Esprit saint. Son essence est d’être une communion issue de la communication de l’Évangile. Elle est proprement un miracle de l’Esprit, une réalité qui peut être forte ou faible, persécutée et près de disparaître, mais qui, tout-à-coup, peut renaître dans les pires conditions, – je pense à la Chine. L’apôtre Paul la définissait par les trois formules classiques : peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple de l’Esprit.

4. L’Église humaine, trop humaine !

Cependant cette Église spirituelle garde les pieds sur terre. Elle reste en même temps humaine et terrestre, ô combien ! Parce qu’elle rassemble des humains, avec leurs limites et leur instabilité, elle est prise dans les puissants remous de l’histoire, tantôt voguant allégrement à la surface des courants, tantôt essayant péniblement de surnager. Nous savons qu’elle n’a pas été une institution fondée par Jésus. L’Église terrestre est née au moment où les disciples ont saisi que Dieu avait relevé le Crucifié et que l’amour qu’il avait manifesté a continué à être une force vive. Il se sont donc regroupés à nouveau pour former une ekklesia, – ce qui veut dire simplement une assemblée, – une communion, une communauté de service qui a grandit rapidement dans tout l’empire romain et au-delà. Une communion apostolique, c’est-à-dire missionnaire, ouverte aux païens, devenue rapidement internationale, interraciale, universelle. Une Église humaine, cependant, loin d’être parfaite, une communauté de pécheurs, théâtre de beaucoup de faiblesses et d’erreurs : les Réformateurs disaient « un corpus permixtum », un grand mélange ! Cette communauté diverse a fait l’expérience de la joie qui vient de la foi, de la souffrance de la persécution, elle est tombée dans la tentation de l’ascétisme comme du triomphalisme, elle a connu des luttes internes, des divisions, des déformations. Elle est tellement imparfaite que bien des gens ne voient en elle qu’une construction humaine, l’Église spirituelle restant cachée. C’est pourquoi, il est bien nécessaire de croire en elle…

5. Anticiper l’Être nouveau

Toute imparfaite qu’elle est, l’Église excite l’interrogation et la curiosité : « que font ces gens ? pourquoi ? » se demande-t-on ; ils ont un croyance, des valeurs, mais quoi ? » Oui, telle qu’elle est, l’Église est un signe pointant vers le Royaume de Dieu. Elle ne cherche pas à être hors du monde : il faut se méfier de trop de sainteté (surtout quand on se souvient que Jésus passait pour un « buveur et un glouton« ). Mais elle représente une forme de contestation contre la perversion du monde et elle devrait élever cette contestation beaucoup plus fermement ! Car c’est la Vie nouvelle révélée par le Christ, l’Être nouveau qu’elle essaie d’anticiper dans sa vie communautaire et son action.

Nous devons, par conséquent, nous souvenir que l’Église est plus que la paroisse locale, pour la considérer dans toutes ses dimensions. Terrestre, historique, mais aussi spirituelle et universelle, elle est un soutien dans notre existence. Elle nous offre communication de l’Évangile, communion de l’amour, finalité et espérance de vie. Le premier et meilleur travail que nous puissions faire pour lui redonner de la vigueur, c’est donc de croire en elle, d’être témoins de ce qu’elle est dans sa totalité et de ce qui vit en elle, et par là d’ouvrir et d’étendre sa communion à d’autres.


Donné à Cossonay le 01.09.2024
René Blanchet