UNE SPIRITUALITÉ POUR L’ENGAGEMENT ÉCOLOGIQUE

Lectures : Psaume 147, 7-20 ; Romains 8, 18-25 ; Matthieu 10, 26-31

1. Introduction

Je rappelle que mon objectif n’est pas de montrer la gravité de l’urgence climatique, de la pollution ou de l’extinction de nombreuses espèces vivantes sur notre planète. Vous avez suffisamment été alertés par ces dangers, qui réclament un changement dans notre manière de vivre. Ce que je vise, c’est d’essayer d’exprimer nos raisons de foi, les motivations théologiques, qui nous obligent, en tant que chrétiens, à entrer dans ces problèmes. En en tirant les conséquences éthiques et spirituelles.

Les dernières votations, avec la montée des Verts, semblent montrer une nouvelle prise de conscience écologique. Peut-être même notre Église, qui a manifesté jusqu’à maintenant une indifférence quasi totale va-t-elle enfin se mobiliser ? Notre nouveau Conseil synodal a fait une déclaration dans ce sens. Pourquoi cette réaction si tardive, alors qu’en 1989 déjà, avait lieu à Bâle le fameux rassemblement oecuménique intitulé « Justice, Paix et Sauvegarde de la Création » ?

2. Une fuite hors du monde ?

L’une des raisons de ce retard correspond peut-être à la vieille accusation (surtout marxiste) selon laquelle le christianisme détourne les regards des gens vers un monde de l’au-delà, les pousse à se désengager du souci de cette terre et des enjeux politiques, faisant de la foi chrétienne un mouvement de fuite. L’accusation n’est pas totalement fausse au regard de l’histoire, mais par ailleurs, le nombre incroyable d’oeuvres et d’institutions sociales que les Églises ont générées constamment et partout dans le monde ne plaide pas dans ce sens. L’Église a toujours insisté sur la distinction entre le temporel et le spirituel, entre la religion et la politique ; elle s’engage différemment du politique, mais elle a toujours agi concrètement et avec espérance dans la société. Car pour nous, chrétiens, le salut est bel et bien un accomplissement et une libération destinés à ce monde, à cette vie qui est la nôtre, à cette Création.

C’est ce que montre l’histoire de Jésus elle-même, qui a vécu en tant qu’homme et s’est engagé, au nom de Dieu, parmi ses concitoyens de Palestine. Les Évangiles insistent assez sur le fait qu’il ne fut pas seulement un prédicateur, mais qu’il s’est préoccupé des malades et des petites gens, des pauvres et des marginaux de son temps. Il a notamment critiqué l’institution du Temple et le système religieux et économique qui lui était attaché, prenant à cet égard un risque mortel. Ce que les théologiens appellent « l’incarnation » du Christ est l’une des raisons majeures pour laquelle les causes qui touchent notre société nous préoccupent.

3. Dominateurs de la nature ?

Une autre accusation à l’encontre le christianisme sévit depuis une centaine d’années. En désenchantant le monde, c’est-à-dire en lui déniant son caractère divin, les chrétiens seraient à l’origine de la chosification de la nature, de son ravalement au rang de chose, d’objet, et pire, à sa marchandisation. On cite à cet égard le fameux verset biblique de la Genèse, où Dieu dit à l’homme et à la femme : « Remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! » Ce serait le fondement de la domination humaine sur la nature et de son exploitation abusive que nous constatons aujourd’hui. Mais la Bible est quand même beaucoup plus nuancée et on oublie que quelques versets plus avant, on peut lire que l’homme est destiné à cultiver et à garder le jardin, ce qui est assez différent.

4. La Création, notion délicate

Beaucoup d’éléments sont liés au concept délicat et ambigu de Création. Le terme est utilisé fréquemment comme substitut pour désigner la nature ou le cosmos. Mais c’est un terme théologique, qui prête souvent à malentendu, et qu’il s’agit de clarifier. Pour commencer, rien à voir avec le créationnisme ! Ce mouvement, très actif aux USA, prend les textes de la Genèse à la lettre, ou du moins prétend le faire, et les considère comme un scénario scientifique, à mettre au même rang et côte-à-côte avec les théories cosmologiques du Big Bang. De manière très naïve, ils comprennent la Création comme un processus de fabrication opéré par Dieu. A noter qu’il existe aussi des créationnistes musulmans.

Je crois que nous devons voir les choses différemment. Quand nous parlons de Création, nous disons d’abord que nous sommes face à un donné, une réalité au-delà de laquelle nous ne pouvons pas aller, dont nous devons tenir compte en tout. Nous aussi sommes pour nous-mêmes un donné, nous avons été donnés à nous-mêmes. Nous ne nous créons pas nous-mêmes, même si nous avons un certain degré de liberté. Impossible pour nous de revenir vers les origines, qui ne sont pas à notre portée ; impossible de façonner un futur, sinon en rêve. Nous sommes proprement des créatures ! Or, parler d’un donné, c’est également signifier un don, et par là évoquer un Donateur, le seul qui soit notre origine et notre avenir, l’Autre absolu, Dieu. Autant nous sommes conditionnés, autant il est l’Inconditionné.

5. Une Création vivante

Allons plus loin : quand nous désignons notre monde comme une Création, nous sous-entendons qu’elle est vivante, qu’elle bouge, qu’elle est en mouvement, et même en évolution. Selon la foi juive et la foi chrétienne, c’est parce qu’elle est en relation constante avec le Dieu vivant, qui l’a bénie et qui a pour elle un projet. Le texte de la lettre aux Romains, lue tout à l’heure, nous rappelait que toute la création était en attente, comme en gestation, en espérance d’une libération.

Le rôle des humains est précisément de travailler à cette libération, non pas seuls, mais en alliance avec Dieu. Nous avons vocation d’user de nos capacités supérieures, de nos pouvoirs dans le monde. Notre position est donc un peu ambiguë : à la fois dans le monde et placés au-dessus. Devant Dieu, qui nous a fait entendre sa Parole, nous sommes responsables du développement et des équilibres de sa Création.

6. Une spiritualité écologique

Précisément, la rupture de beaucoup de ces équilibres et la crise écologique grave dans laquelle nous sommes entrés nous obligent à préciser la feuille de route dont nous avons besoin. Ce ne sont pas des mesures politiques ou techniques que j’aimerais préconiser ici, mais quelques points d’une spiritualité chrétienne pour l’écologie. Si nous voulons entretenir de nouvelles relations avec la nature et notre planète, établir une nouvelle alliance, les regarder avec un nouveau regard, fait de respect et de bienveillance, il faut aussi que nous devenions des hommes nouveaux.

Premier point, nous inspirer de l’attitude de Jésus. D’abord la non-domination. Elle puise à une confiance fondamentale en Dieu et se manifeste par l’absence de crainte, quant à ce qui peut arriver ou dans la rencontre des autres. Jésus est un homme de dialogue, qui privilégie les pauvres, les faibles, ceux qui font le moins de mal à la Création. Et il existe un parallélisme entre le rapport aux autres et le rapport à la nature. L’attention que Jésus avait pour les autres, il la manifeste aussi à l’égard de la nature, ce que montrent à l’envi ses paraboles. Et c’est plus que de l’attention, c’est de l’amour, l’amour qu’il nous commande. Ouverture et disponibilité pour les humains, « sobriété heureuse » à l’égard des choses, c’est l’exemple de Jésus pour nous.

Deuxièmement, avoir conscience que c’est la Présence cachée de Dieu dans la Création qui lui donne son sens. Avoir un sentiment de gratitude pour la nature et toutes les choses qui se présentent à nous : cette gratitude ne peut qu’être produite par la conviction du don. Non en vue d’accaparer, mais pour admirer la Création (ce qu’expriment les Psaumes!). Là aussi, la beauté des choses et de la vie dépendent d’une Présence secrète qui est en leur coeur. Par leur intermédiaire et avec elles, nous vivons ainsi une sorte de communion.

Troisième point, lespérance. Elle correspond à la dimension fondamentale de l’existence qui nous a été donnée : le temps.Dans le temps, nous sommes invités à participer au mouvement de la vie, à l’accomplissement de la Création. Il n’est pas bon d’être immobile et de se satisfaire du statu quo. Nous devons désirer la paix que nous n’avons pas encore, que ce soit entre nous, les humains, ou avec la nature. Espérer activement, à cause d’une libération promise.

Ces trois points, (auxquels on pourrait en ajouter d’autres), balisent un style de vie qui peut être notre contribution chrétienne au défi écologique : pour un nouveau regard sur la nature, pour que le monde ne soit pas toujours plus réduit à une matière à exploiter, à des objets inertes, mais qu’il garde pour nous un visage, parce qu’il est secrètement habité.

Donné à Cossonay le 29.10 2019

René Blanchet