QUESTION D’AUTORITÉ

QUESTION D’AUTORITÉ

Lectures : Jérémie 1, 9-10 ; 2 Corinthiens 10, 1-8 ; Marc 11, 23-27.

1. Des références exigées

Aujourd’hui, si vous désirez obtenir un poste de travail, vous avez avantage à présenter un CV bien écrit, complété par le plus grand nombre de diplômes, certificats et attestations. Ces références doivent légitimer une solide formation et une riche expérience ; sinon, vous aurez peu de chances d’obtenir votre poste… Je suis d’ailleurs impressionné par les offres de travail qu’on peut lire dans les journaux et les exigences qui y sont énumérées : avoir suivi de grandes écoles, connaître plusieurs langues, avoir fait une expérience à l’étranger… Avoir une bonne présentation ne suffit pas ! Est-ce que Jésus, qui enseignait les foules avec succès avait des références semblables ? Évidemment non !

2. Qui a le droit de parler de Dieu ?

Les Évangiles rapportent précisément un épisode où l’officialité juive accroche Jésus, lui demandant de se légitimer : En vertu de quelle autorité fais-tu ce que tu fais? lui demandent-ils. Et nous savons que Jésus n’a pas répondu à leur question. Ce serait une erreur de considérer ce récit comme un simple exemple de l’habileté de Jésus à se sortir des pièges que lui tendent ses adversaires ; nous n’avons pas affaire à une sorte de farce, la question est sérieuse : qui a le droit de parler de Dieu ?


Les scribes, les Pharisiens, les prêtres sont préoccupés : ils se trouvent face à un prédicateur non patenté, très efficace, très critique aussi, et qui a de l’audience. « Il parlait avec autorité », disent les Évangiles, c’est-à-dire, avec force de conviction. Mais qu’est-ce qui le légitime ? D’où tient-il son autorité ? Car, à leurs yeux, l’autorité, c’est eux : en tant que scribes, ils ont suivis des écoles, comme Pharisiens, ils ont eu des maîtres, les prêtres ont été consacrés. Que Jésus dévoile donc ses références ! La riposte de Jésus n’est pas seulement intelligente, mais profonde : il établit un parallèle entre Jean-Baptiste et lui. Que ses interlocuteurs prennent d’abord position : le baptême que pratiquait Jean-Baptiste, venait-il du ciel, de Dieu, ou des hommes ? Pris en tenaille, les officiels ne répondront pas : reconnaître Jean-Baptiste comme un envoyé divin, les obligeraient à reconnaître également Jésus ; le dénier comme prophète les mettrait en opposition avec la foule. Ils font donc machine arrière, disant qu’ils ne savent pas. Et Jésus de conclure : Moi non plus, je ne vous dirai pas en vertu de quelle autorité je fais cela.

La réponse de Jésus, c’est sa non-réponse. Il ne peut pas y avoir de preuves, d’argumentation rationnelle qui puisse démontrer que Jésus parle et agit au nom de Dieu. Il n’y a pas d’authentification préalable possible de son ministère. C’est en écoutant ses paraboles, c’est en voyant comment il vient en aide aux pauvres et aux malades, c’est en considérant son style de vie qu’on peut être amené à le reconnaître comme envoyé de Dieu. C’est une question de foi. Et la Croix, sur laquelle Jésus meurt impuissant, assimilé à un blasphémateur et à un brigand, constitue sa non-réponse ultime et scandaleuse. Pourtant, pour nous qui sommes placés devant cette Croix, la non-réponse de Jésus est une réponse : la Croix manifeste sa fidélité totale à la Parole de Dieu, son engagement au service et dans l’amour de Dieu. C’est sur la Croix que se révèlent sa pleine autorité divine et son renoncement à tout pouvoir. Et par là, la distinction capitale que doivent faire tous les croyants entre le pouvoir, extérieur, visible, contraignant, et l’autorité, spirituelle, invisible, pacifique, deux réalités qu’ils ne doivent pas confondre, autant qu’on ne doit pas confondre le temporel et le spirituel.

3. Notre besoin d’autorité

En attendant, en tant qu’humains, nous avons besoin d’autorité. Enfants, il nous faut celle des parents, sans lesquels nous ne pourrions ni vivre ni grandir. Apprentis, étudiants, il nous faut celle des enseignants pour nous former et nous faire assimiler la culture de notre société. Les traditions et les institutions sont les sources d’autorité qui façonnent notre humanité, et dont nous ne pouvons nous passer. Il ne s’agit pas là de l’autorité ultime, celle de Dieu, il s’agit d’autorités secondes, humaines, qui parfois reflètent la première, ou veulent la relayer au niveau de notre existence concrète.

Et c’est bien parce que nous sommes dans une période où les repères de l’autorité sont devenus flous ou inexistants, que nous constatons ces sentiments d’incertitude, d’angoisse, de solitude, ou cette fuite dans les mouvements de masse qui s’offrent comme des refuges. Nombre de jeunes gens se lancent ainsi dans des idéologies faciles, où ils peuvent jouer les héros, ou les martyrs… Par ailleurs, des politiciens profitent de la situation pour commettre leurs abus d’autorité, pour faire acte d’autoritarisme, les Poutine, les Erdogan, et bien d’autres… L’autorité, qui se traduit alors en force et pouvoir, est un enjeu perpétuel.

4. Et notre propre autorité ?

Arrivés à ce point, deux questions se posent à nous : quelle est notre autorité à nous, en tant que témoins de la foi ? Et comment la mettre en œuvre dans le contexte de notre vie ? Le prophète Jérémie, qui recevait autorité sur les nations pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter, n’aura pas d’autre moyen à disposition que les paroles que Dieu met dans sa bouche. Et l’apôtre Paul, ainsi que nous l’avons entendu, se défend d’intervenir en raison de motifs purement humains. Il évoque des armes spirituelles, une puissance qui vient de Dieu. Il ne lutte pas contre des hommes, dit-il, mais contre « les raisonnements prétentieux », contre les pensées qui se « dressent contre la connaissance de Dieu ». Il veut les rendre « captives, afin de les amener au Christ ». L’autorité qu’il invoque est purement spirituelle ; et plus qu’ailleurs, nous percevons le théologien, qui travaille sur le plan intellectuel pour convaincre ses interlocuteurs, avec la fougue qui caractérise sa personnalité.

Ces exemples de prophètes et d’apôtres qui ont eu une autorité reconnue et efficace, nous sont-ils applicables ? Le crédit de l’Église auprès de la population est très maigre, aujourd’hui, nous le savons bien. Les gens voient en elle une institution humaine, trop humaine. Ils reconnaissent surtout son utilité sociale, et assez peu sa référence divine. Les pasteurs, également, sont considérés comme des sortes d’agents culturels, peu prophétiques, et on ne les crédite pas d’emblée d’une autorité spirituelle. Croyez bien que mon but n’est pas de décourager A.G, qui termine sa suffragance dans cette paroisse. J’imagine qu’elle a déjà eu l’occasion de s’apercevoir que le ministère s’exerce sans privilège. Nous sommes ainsi plus proches de la situation des laïcs, auxquels s’adresse la même injonction de « rendre compte de l’espérance qui est en nous par Jésus-Christ ». Oui, en tant que témoins du Christ, nous sommes tous dans la même situation : nous n’avons pas de signes célestes lumineux à disposition ; nous ne pouvons donner aucune preuve indubitable de la vérité de notre témoignage : ni l’existence de l’Église, ni la Bible ne sont en soi des démonstrations. Nous ne pouvons travailler qu’avec nos pouvoirs humains relatifs : ce sont nos paroles et nos actes, l’orientation que nous donnons à notre vie, notre style de vie, notre accueil et notre ouverture au prochain ; notre participation aussi à la résolution des problèmes dans lesquels notre société est plongée, oeuvrer pour que tous les humains puissent avoir leur chance et soient respectés ; aider, éclairer, donner confiance et espoir, éduquer, et aussi communiquer notre interprétation personnelle de la foi. Je n’oublie pas les propos de l’apôtre Paul : il veut que nous n’ayons pas peur de faire un travail de critique : dévoiler les pouvoirs tyranniques et souvent meurtriers qui s’exercent sur le monde, combattre les fausses autorités qui s’érigent comme des « dieux », je pense à ces grands groupes et multinationales qui veulent régenter la planète entière.

Quelle est notre autorité en tout cela ? Je pense qu’elle vient de la confiance que nous mettons nous-mêmes dans l’autorité ultime de Dieu ; dans l’assurance que par-dessus nos forces limitées, l’Esprit saint travaille pour nous et rend pertinents nos efforts. Notre autorité n’est pas notre autorité. Et il ne s’agit pas ici de ce qu’on appelle l’autorité personnelle, de notre ascendant psychologique, ou de l’impact de notre savoir. Il s’agit de la relation, purement spirituelle, que notre action pourra avoir avec Dieu et sa Parole.

Et là, nous aurons atteint un résultat chaque fois que des personnes, non pour nous piéger, cette fois, mais sincèrement, avec quelque étonnement, se poseront la question qui fut posée à Jésus : « En vertu de quelle autorité agissent-ils ainsi ? ». A cette question, ils devront répondre eux-mêmes !

Donné à La Sarraz le 28.08.2016

René Blanchet