NE NOUS LAISSE PAS ENTRER EN TENTATION

NE NOUS LAISSE PAS ENTRER EN TENTATION…

Lectures : 1 Cor 10, 1-6.12-13 ; Jean 15, 1-7.

1. « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. »

Cette demande du Notre Père a une tonalité grave. Ils devaient l’avoir en tête, les gens qui, au début de la Réforme de Luther, se précipitaient pour acheter des indulgences, remplis d’angoisse et d’espoir quant à leur salut futur. Car c’est bien sur la peur du péché et de sa punition que jouait ce trafic, qui a suscité l’indignation dans toute l’Europe. Et nous comprenons alors que le message de Luther, la justification par grâce, ait pu être ressentie comme une immense libération. Ses 95 thèses ont été éditées à plus de mille éditions en peu de temps.

2. Dieu nous tenterait ?

En attendant, n’éprouvons-nous pas nous-mêmes un certain malaise, quand nous prononçons cette demande : « Ne nous laisse pas entrer en tentation »(ancienne traduction : Ne nous induis pas en tentation. Voir le tableau en fin de texte) ? Nous savons combien nous sommes fragiles, qu’un rien peut nous faire basculer dans le doute, dans la peur, dans la lâcheté, dans la transgression, nous savons que nous sommes très « tentables ». On peut comparer notre existence à une marche au sommet d’une arête… ou au bord d’un précipice, avec ses possibilités de vertige. Mais il y a plus : Dieu lui-même s’amuserait-il à nous tenter ? Quel Dieu est-il donc ? Un Dieu pour nous, ou un Dieu contre nous ? C’était la question qui préoccupait Luther. Dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, la chose est loin d’être claire. Et cela contribue beaucoup à rendre difficile notre témoignage de chrétiens autour de nous. Dieu inquiète ! C’est pourquoi, il vaut la peine de réfléchir à ce que nous prions et disons.

3. Dieu ne nous lâche pas.

La Bible n’est pas univoque sur la question de la tentation. Il est évident que pour l’Ancien Testament, Dieu peut mettre à l’épreuve ses serviteurs : c’est le cas d’Abraham, confronté plusieurs fois à des choses impossibles, jusqu’à devoir sacrifier Isaac, son fils ; c’est le cas de Job ; et il y a bien d’autres circonstances où Dieu teste ses fidèles : non pour les faire tomber, toutefois, mais pour fortifier leur foi et leur résistance. C’est aussi l’opinion de Paul qui précise : « Les tentations auxquelles vous avez été exposées ont été à la mesure de l’homme, Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter ». Voilà qui est rassurant ! Dieu ne nous évite pas le danger, les épreuves extérieures auxquelles répondent l’épreuve intérieure et ses questionnements, ses conflits de conscience, mais en même temps il ne nous lâche pas. L’évangile de Jean met dans la bouche de Jésus une superbe image pour exprimer la volonté pédagogique de Dieu à notre égard : « Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. Demeurez en moi comme je demeure en vous » ! Il faut également mentionner les tentations du Christ, qui ont eu pour but de le révéler à lui-même et de le renforcer dans la conviction de sa mission particulière. « Il a été tenté tout comme nous », dit l’épître aux Hébreux.

Mais parce qu’il est possible qu’on interprète mal l’intention pédagogique de Dieu : comme un père sévère qui aurait tellement d’ambition pour ses enfants qu’il les mettrait devant des risques exagérés, qui les ferait trébucher – on trouve, dans la lettre de Jacques, un correctif : « Que nul ne dise « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit.« Jacques veut empêcher qu’on mette sur Dieu la responsabilité de nos plongées, de nos erreurs, et il insiste sur le processus psychologique qui est à l’œuvre dans notre esprit. Nous sommes des hommes et des femmes de désir ; suivant la représentation que nous nous faisons de ce désir, suivant son contenu, nous orientons notre trajectoire à plus ou moins grande distance des valeurs de l’Évangile.

C’est en fait la même intention : rétablir l’équilibre entre notre responsabilité et le rôle de Dieu – qui a guidé les évêques français quand ils ont décidé de promouvoir la formule « Ne nous laisse pas entrer en tentation » ; alors que la traduction la plus fidèle au texte est certainement, selon moi, la plus ancienne, à savoir : « Ne nous induis pas en tentation ». Alors Dieu nous tente-t-il ou ne tente-t-il pas ? Que l’on choisisse l’une ou l’autre alternative, elles impliquent toutes deux un Dieu actif et non pas indifférent ou neutre, un Dieu qui nous donne des tâches et sollicite notre responsabilité, qui nous confronte donc à des obstacles, qui veut nous faire avancer sur un chemin, qui veut nous faire mûrir, en faisant mûrir notre foi.

4. Présence du mal et espérance

«Mais délivre-nous du mal ». Effectivement, nous vivons dans un monde où le mal existe. Sinon, il n’y aurait pas de tentation. A la tentation et au mal, nos contemporains associent généralement des fautes morales : céder à la jalousie, à l’envie, commettre un vol, s’adonner à la colère, à la haine, blesser ou tuer son prochain, et surtout ce qui touche au sexe. L’Église ne nous a pas rendu service avec ses listes de péchés véniels ou capitaux.

Pourtant, la Bible est assez claire : la tentation majeure, le cœur du mal, c’est désespérer de Dieu. Parce qu’il est caché, parce qu’on ne peut pas l’avoir sous la main, parce qu’il dépasse notre entendement, nous nous détachons de lui, nous perdons confiance en lui et en ses promesses, en ses objectifs. Nous cherchons en dehors de Dieu une sécurité qui nous paraît plus solide, un bonheur qui nous semble plus sensible. Et à l’extrême, désespérer de Dieu peut conduire à désespérer de soi. Ne plus savoir qui on est, pourquoi on existe, ne plus trouver de sens à sa vie, et plus loin, en venir à perdre le respect de soi. Oui, la vraie tentation et le vrai mal, c’est désespérer de Dieu ; et son corollaire, désespérer de soi.

Une deuxième forme de tentation et de mal consiste à désespérer du monde. Nous aurions pourtant bien des excuses à cela, car la situation politique actuelle n’est pas brillante : des conflits violents, un peu partout, des inégalités gigantesques, une régression de la démocratie inquiétante, la montée du populisme, du racisme. Et si j’ajoute l’inquiétude suscitée par un développement économique et technologique débridé, qui échappe aux contrôles, par les changements climatiques, nous avons de quoi douter de l’avenir de ce monde. La tentation est grande de se retirer dans sa coquille et de renoncer à toute responsabilité. Et beaucoup le font. Ils oublient, par là, que Dieu aime le monde, qui est sa création, à laquelle il ne cesse de travailler, avec des objectifs, auxquels il désire que nous soyons associés. Si Dieu aime le monde, nous aussi devons l’aimer. Pour ce monde en constante évolution, nous devons espérer et non désespérer de lui.

Une troisième forme de tentation et de mal qui nous touche de près : désespérer de l’Église. Nous voyons le christianisme occidental en grande crise et notre Église en perte de vitesse. Il ne s’agit pas seulement d’une question de nombre : baisse de la fréquentation des cultes, mariages, baptêmes, services funèbres. Il ne s’agit donc pas seulement de rendre l’Église plus « attractive » en usant de nouveaux moyens de communication, voire de remplacer les bancs des églises par des canapés et des fauteuils, avec service de café et thé inclus. Ce ne serait que toucher à l’écorce de l’arbre sans se préoccuper de sa sève : le plus grave consiste dans la difficulté qu’ont les Églises de délivrer une parole accessible et crédible pour nos concitoyens, un message qui rivalise d’évidence avec les discours qui les sollicitent d’ordinaire. Il faut compter cependant avec le fait que l’Évangile, par définition, restera toujours un message paradoxal, qui nous oblige à sortir de nos rails et qui nous place devant le saut de la foi. La tentation à laquelle beaucoup succombent : « c’est trop complexe, cela met trop de choses en question, cela contrarie mes plans de carrière, mes loisirs : je quitte le bateau ».

L’alternative à cette attitude proprement désespérée, est précisément l’esprit de la Réforme. Il procède à une critique lucide de nos croyances et de nos comportements, il ose effectuer des changements, en résistant aux difficultés, aux oppositions, aux déceptions, au nom et par la force d’une espérance. L’espérance même qui nous tourne vers le Christ et vers le Père et qui nous fait prier. Une prière sans espérance ne serait qu’une vaine formule. Prier avec espérance nous empêche de succomber à la tentation et d’être happés par le Mal. Nous espérons demeurer attachés au Christ comme les sarments au cep, demeurer en lui comme il demeure en nous, partager sa vie et sa dynamique qui, à travers la Croix, nous fait participer au « règne, à la puissance et à la gloire« de Dieu.

Donné à Cossonay le 5.11.2017, dimanche de la Réformation

René Blanchet

MATTHIEU (80~ ap. J.-C)LUC (80~)DIDACHÈ (100~) (Enseignement des 12 apôtres)TRADUCTION OECUMENIQUE (TOB)VERSION DES EVÊQUES FRANÇAIS, TRADUCTION ACTUELLEAUTRES TRADUCTIONS DE LA 6e DEMANDE
Notre Père qui es aux cieux, Que ton nom soit sanctifié, Que ton règne vienne, Que ta volonté soit faite comme au ciel, ainsi sur la terrePère,
Que ton nom soit sanctifié, Que ton règne vienne.
Notre Père, qui es dans le ciel Que ton nom soit sanctifié, Que ton royaume arrive, Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au cielNotre Père qui es aux cieux, Que ton nom soit sanctifié, Que ton règne vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.Idem TOB
Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin,
Remets-nous nos dettes, comme nous avons remis à nos débiteurs.
Donne-nous chaque jour notre pain quotidien,
Et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit.
Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien,
Remets-nous notre dette, comme nous-mêmes aussi remettons à nos débiteurs.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Idem TOB
Ne nous introduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du Mal.
Et ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du Mauvais,Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal,Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal.– Ne nous induis pas en tentation… – Ne nous abandonne pas à la tentation…


Car à toi appartiennent la puissance, et la gloire, pour les siècles.Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, aux siècles des siècles. Amen.
– Ne nous laisse pas tomber dans la tentation…