LA TRINITÉ, DIEU EN MOUVEMENT

LA TRINITÉ, DIEU EN MOUVEMENT

Lectures : Actes 2, 29-36 ; Jude 20-25 ; Matthieu 28,16-20


1. Un Dieu unique

Nous venons de fêter Pâques, la résurrection du Christ. Qu’est-ce que cela veut dire, sinon que la figure de Jésus devient inséparable de celle de Dieu ; que celui qui a été mis en croix est sans doute mort pour notre sens commun, mais qu’il est vivant selon l’Esprit. C’est pourquoi les disciples sont envoyés pour baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Et que dans la lettre de Jude, nous avons lu : Priez dans l’Esprit saint ; maintenez-vous dans l’amour de Dieu ; placez votre attente dans la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais Jude termine par cette bénédiction : au Dieu unique notre Sauveur…gloire… maintenant et à jamais. Je voudrais donc vous parler du Père, du Fils et du Saint Esprit, qui est pourtant le Dieu unique, je vais vous parler de la Trinité ! Mais n’ayez pas peur, mon intention n’est pas de tordre l’arithmétique pour vous prouver que 3=1, ni d’entrer dans les complexités de la doctrine du 4ème siècle.

Non, mon but est simplement de montrer l’unité nécessaire de l’œuvre respective du Père, du Fils et du Saint Esprit, unité nécessaire pour la cohérence de notre foi. Il faut parler de la Trinité, face aux Juifs qui la nient, face aux musulmans qui prétendent que nous avons trois Dieux, face aux Témoins de Jéhovah qui la contestent, et face à tous ceux qui, tout simplement, ne saisissent pas les enjeux de cette affirmation : le Père, le Fils et le Saint Esprit sont un. Cette conviction s’exprimait dans les plus anciennes prières de l’Église : celles-ci s’adressent toujours au Père, au nom de Jésus-Christ, par l’Esprit saint. Ensuite, cet ordre disparaît et les prières sont adressées indistinctement au Père, au Fils, et même à la Vierge Marie et aux saints !

2. Un Dieu qui crée et qui aime

Examinons d’abord l’œuvre de Dieu le Père. Il est créateur, et les plus anciens théologiens comprennent qu’il s’agit d’un acte de « création continue », à travers lequel Dieu reste constamment présent à sa création. Mais beaucoup de gens aujourd’hui, et c’est le cas dès la modernité, dès le 18ème siècle, considèrent la création comme la fabrication d’un objet, comme une mécanique construite par le grand horloger, qui, une fois mise en mouvement, n’a plus besoin de lui. Ce Dieu-Père est lointain, complètement isolé. Nous comprenons que cette vision a de quoi alimenter le sentiment de l’absurde, de la solitude, de la déréliction, qu’éprouvent souvent nos contemporains.

Mais ce Dieu n’a rien à voir celui dont parle la Bible, qui affirme que Dieu aime le monde ! Il aime le monde et la vie et l’homme, qu’il a créés par sa parole, par laquelle il les anime. C’est par sa parole qu’il est présent et qu’il aime. Sa parole qui éclaire et qui est don. Ce n’est pas par hasard qu’on a identifié la parole au Christ. L’œuvre du Père se prolonge dans l’action du Christ. Il nous aime en Jésus-Christ. Si ce dernier est appelé Fils, c’est précisément pour montrer le lien qui unit sa mission à l’œuvre du Père : Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils… C’est le premier enjeu de la doctrine de la Trinité : Dieu n’est pas absent, isolé, il nous aime en Jésus-Christ.

3. Jésus, Dieu qui m’aime

Mais ce Fils, – une expression symbolique – nous le connaissons dans son incarnation, en l’homme Jésus. Cet homme a voulu être un serviteur et n’a jamais revendiqué pour lui la divinité. Cet homme a pourtant été obéissant jusqu’à la mort, la mort en croix. Tout un courant a voulu revendiquer Jésus en l’écartant de Dieu, en le mettant en relation avec les hommes, leur culture et leur religion, plutôt qu’avec Dieu. Ainsi, au 19ème siècle, les milieux de la théologie dite libérale prônent en Jésus le moraliste, l’homme de vertu, l’inventeur de l’amour du prochain intégral, le champion d’un christianisme moral. Jésus prend ainsi place à côté d’autres hommes de vertu, à côté de prophètes modernes auxquels on peut le comparer. Maintenant, c’est la figure du héros pacifiste ou libertaire qui a son succès. On le comparera au dalaï-lama, qui fait grande impression en mettant remarquablement en pratique le respect de l’autre et la non-violence. Au moins, ce type de christologie – c’est le nom de la discipline qui réfléchit au statut du Christ – a-t-il l’avantage de ne pas édulcorer l’humanité de Jésus et de ne pas faire de lui un demi-dieu à la mode gréco-romaine, ou une simple apparition de Dieu, un fantôme de Dieu, comme cela est arrivé dans l’histoire de l’Église. Il a été homme, pleinement.

Mais voici le deuxième enjeu de la Trinité : Cet amour que Jésus pratiquait, en entrant en contact avec les petites gens, en racontant les paraboles, en accordant le pardon, en guérissant, cet amour était-il autre que celui de Dieu, qui aime le monde ? Non, il s’agit du même amour, parce qu’il n’y a qu’un amour. Affirmer la Trinité, c’est préciser que quand Jésus nous a aimé, c’est Dieu qui nous aimait. Jésus est Fils du Père, parce que l’amour dont il nous aime est l’amour même de Dieu pour nous. L’amour du Père n’est pas resté abstrait, général. Il est devenu concret, incarné. Cela signifie que tout geste d’amour, même le plus minime dont je suis l’objet ou dont j’entends parler, me confirme que c’est Dieu qui m’aime. C’est là une extraordinaire bonne nouvelle, telle qu’il ne peut pas y en avoir de meilleure !

4. L’Esprit, la capacité de répondre

Le Saint-Esprit est dit la troisième « personne » de la Trinité. Voilà qui ne va pas de soi. Pendant longtemps, on a regardé l’Esprit saint comme une sorte de force divine, mais impersonnelle. L’Esprit était ressenti comme le vent, capable d’arracher les arbres. Puis, sa fonction se précise, il inspire les rois et les prophètes. Chez Jérémie, il permettra aux hommes de connaître Dieu, chez Joël, il donnera à tous de prophétiser. Une promesse accomplie dans l’Église, quand l’Esprit sera répandu sur les apôtres, puis donné à chaque croyant.

Il n’empêche que même dans l’Église, certains chrétiens ont tendance à considérer l’Esprit comme une force divine indépendante et à leur disposition. Au temps de l’apôtre Paul, nous le savons, certains chrétiens désiraient acquérir, grâce à lui, des pouvoirs surnaturels : parler en langues, guérir… on faisait la chasse aux charismes. Paul essaie de remettre les choses en ordre en montrant qu’un charisme qui n’a pas l’amour pour finalité est nul et que le meilleur charisme, c’est l’amour. Mais on trouve de nos jours ce même désir d’acquérir des pouvoirs extraordinaires : dans le pentecôtisme, dans certaines Églises évangéliques américaines où l’on fait des guérisons instantanées à grand spectacle.

Affirmer la Trinité en ce qui concerne l’Esprit, va à l’encontre de cet Esprit à la dérive, dont je viens de parler. L’Esprit nous permet de saisir, et de vivre l’amour de Dieu en Jésus-Christ, et il nous permet d’y répondre. Il nous rend capables de recevoir le don que Dieu nous fait et d’aimer à notre tour. Il nous ouvre à l’amour du prochain, nous donne de nous aimer les uns les autres en communauté. Ce qui est décisif : il nous permet de répondre à l’amour de Dieu, répondre, donc être responsables dans le monde, et retourner vers l’origine la création et tout ce qu’elle contient. C’est le troisième enjeu de la Trinité : L’Esprit nous rend capable de répondre à l’amour du Père et du Fils. C’est une bonne nouvelle, et il n’y en a pas de meilleure.

5. Pas de bonne nouvelle sans trinité !

Les théologiens du 4ème siècle et des siècles suivants se sont adonnés à des spéculations compliquées en voulant exprimer comment la trinité s’inscrivait dans la nature de Dieu. Ils ont distingué une essence et des hypostases, ils ont parlé de génération et de spiration, de périchorèse. Je n’ai pas voulu entrer dans cette réflexion, me bornant à exposer la trinité comme la mise en œuvre de l’amour de Dieu dans le monde. Pour que cet amour aboutisse et s’accomplisse, il faut que les actions respectives du Père, du Fils et de l’Esprit soient reliées. Il n’y a pas de bonne nouvelle sans trinité, c’est-à-dire sans que l’amour du Christ répercute l’amour même de Dieu et sans que l’Esprit nous permette de le recevoir et d’y répondre. Voilà pourquoi l’évangile de Matthieu tient à préciser que la mission des disciples et le baptême auxquels ils procèderont se feront au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. A cette trinité correspond dans notre vie chrétienne celle de la foi, de l’espérance et de l’amour. Notre Dieu du christianisme est complexe, mais il reste cohérent, il est un. Et notre foi aussi doit être cohérente et une.

6. Une vision ouverte

Je termine en répondant à un souci qui taraude bien des gens. Saint Augustin disait que l’Esprit était l’amour que s’échangeaient le Père et le Fils. Mais ce cercle de l’amour divin n’est-il pas trop fermé ? Cette vision trinitaire n’est-elle pas exclusive, rejetant les autres religions, les spiritualités qui prennent d’autres chemins ? Je dirai : au contraire ! Le mouvement de l’amour de Dieu qui s’incarne en Jésus-Christ embrasse tous les hommes, quelle que soient leur culture, leur religion ou leur religiosité. « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme… », écrivait l’apôtre Paul. Tous sont invités à découvrir même des bribes de l’amour de Dieu dans leur cadre de vie et les termes de leur propre expression religieuse. Tous sont également invités à y répondre. Comme nous-mêmes, ils se laisseront renouveler par l’Esprit de Dieu, qui les déroutera plus ou moins, qui changera leur regard sur leur monde, sur leurs relations, sur leurs croyances, et qui les fera passer par d’autres chemins. La Trinité décrit un mouvement divin qui embrasse et intéresse le monde entier. Elle ne nous appartient pas, à nous chrétiens, même si elle nous concerne et nous interpelle au premier chef.

Donné à Villars-Lussery le 24.04.2014

René Blanchet