JÉSUS, FILS DE DAVID ET ROI ?

JÉSUS : FILS DE DAVID ET ROI ?

Lectures : Esaïe 11,1-5 : Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance…
Matthieu 22, 41-46 : …Comment David, inspiré par l’Esprit, peut-il appeler le Messie « Seigneur », si ce dernier est son fils ?

1. Jésus le Messie.

Le temps de l’Avent : l’attente d’une venue. C’est ce qui confère à cette période sa tonalité ardente, exaltée, fébrile. L’attente de quoi, de qui ? Pour les Juifs, depuis des siècles, c’est l’attente du Messie (l’Oint), descendant de David, une figure de roi. Et pour les chrétiens, aussi, d’une certaine manière : les chrétiens ont adopté l’espérance messianique des Juifs, mais en lui donnant comme objet Jésus, qu’ils nomment précisément le Christ, terme grec qui traduit l’hébreu Messie. Les récits de la Nativité, dans les évangiles, sont totalement imprégnés de cette attente messianique et davidique ; l’enfant Jésus est entouré d’une aura royale. Plus tard, on interpelle souvent Jésus en lui disant, « Fils de David ». Et à la fin, l’écriteau qui est fixé sur la croix portera cette mention ambiguë : « Jésus, Nazaréen, le roi des Juifs. »

Les chrétiens voient en Jésus l’accomplissement du plan de Dieu, c’est pourquoi ils lisent et reconnaissent dans les figures messianiques de l’AT, des anticipations de sa venue.

2. La prophétie de l’Emmanuel

C’est le cas dans ce magnifique texte d’Esaïe qui vous a été lu, et qui fait partie de la prophétie de l’Emmanuel. « Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance…il jugera les faibles avec justice, il se prononcera dans l’équité envers les pauvres du pays… La justice sera la ceinture de ses hanches et la fidélité le baudrier de ses reins.» J’aimerais m’arrêter un moment avec vous sur cette évocation, annonçant la naissance d’un nouveau roi, descendant de Jessé, le père de David, et prolongeant ainsi la lignée. Il faut la mettre dans son contexte historique pour apprécier sa singularité. Nous sommes au 8ème s. av. J.-C, dans une situation politique tendue, menaçante pour le royaume de Juda. Esaïe, par ces lignes, veut encourager le roi Achaz, faisant de la naissance prochaine de son fils, son successeur, un signe de renouveau. Ce fils, Ezéchias, le prophète le surnomme Emmanuel, « Dieu avec nous ». Et il prononce sur lui ces paroles chaleureuses, pleines d’espoir, il fait de lui à l’avance ce portrait d’un roi idéal, que nous pouvons trouver exagéré. Esaïe, en brossant ce tableau idéal, s’attend-il vraiment à ce qu’un jour Ezéchias y corresponde ? Serait-il naïf au point d’imaginer le futur roi aussi parfait ? Cela n’est pas concevable, de la part de l’homme critique que nous connaissons. En réalité, Esaïe fait exprès d’exagérer pour mettre en évidence un écart : l’écart entre ce que Dieu peut faire et la conduite humaine, l’écart entre le but auquel le roi est appelé et son impuissance, l’écart entre la promesse et la réalité. La parole prophétique est à la fois critique et stimulante. Critique à l’égard du roi Achaz, qu’il n’avait pas en grande estime, qu’il prend pour un couard, et auquel il fait sentir son insuffisance par rapport à l’idéal ; mais stimulante aussi, parce qu’Esaïe énonce une promesse qui est Parole de Dieu.

En relisant le texte du prophète, les premiers chrétiens ont été frappés par cette promesse d’un roi qui serait bon et juste et ils y ont vu la préfiguration du vrai Roi, Jésus le Christ. Ils ont fait de même avec bien d’autres textes, affirmant par là la continuité de l’action de Dieu dans l’histoire, la cohérence de sa Parole à travers le temps, le fait que Jésus en était l’expression et l’incarnation. Ils confessent ainsi Jésus comme Messie et Roi, même si ces titres doivent être compris d’une manière particulière. Même si, finalement, le NT tout entier ajoutait de nombreux correctifs à ces titres traditionnels, pour qu’on en ait une compréhension correcte.

3. Jésus le fils de l’homme.

Cette nomenclature est en effet très étonnante, quand on sait que Jésus ne s’est jamais pris pour un roi, ni n’a vécu comme un roi. Il a résisté au fait qu’on veuille l’appeler Messie. Nous savons que Jésus se désignait lui-même comme étant le fils de l’homme, et cette désignation apparaît un grand nombre de fois dans les évangiles. Que veut-elle dire, sinon que Jésus se considère et veut être compris comme un homme, l’homme vrai, authentique, l’homme-archétype, modèle. Et Paul le comprend bien ainsi, quand il parle du Christ comme étant le nouvel Adam, le premier membre d’une nouvelle humanité fidèle à Dieu.

Le roi, c’est l’homme fort, et visiblement Jésus ne veut pas être l’homme fort. L’actualité politique nous en montre assez, de ces hommes forts que, malheureusement, la foule plébiscite régulièrement dans toutes les situations troublées, pensant qu’il faut absolument mettre un homme à poigne aux commandes pour résoudre les problèmes. C’est ainsi qu’on vote pour des milliardaires, ou pour des militaires, ou pour les membres du clan le plus puissant du pays. Il y en a des dizaines de ces potentats prétentieux, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, en Asie, je n’ai pas besoin de les nommer. On attend d’eux qu’ils fassent le ménage, comme on dit, qu’ils s’attaquent à la corruption, qu’ils rétablissent la justice, qu’ils s’occupent des pauvres, qu’ils remettent en route l’économie. On les adule, on attend qu’ils fassent des miracles. Mais le plus souvent, les hommes forts déçoivent. Ou bien, ils ne font rien, parce qu’en réalité ils ne sont pas si forts qu’on l’imaginait. Ou bien, ils déploient toute leur énergie et utilisent tous les moyens pour se maintenir au sommet, et cela ne fait du bien à personne. Ils évoluent souvent en devenant des espèces de dictateurs ou de tyrans. Les meilleurs dirigeants, à mon avis, ne sont pas des hommes forts, mais des hommes d’écoute et de dialogue. Jésus n’a pas voulu être un homme fort, et nous ne devons pas le considérer comme tel.

Dans le récit, d’interprétation difficile, que vous avez entendu comme deuxième lecture, Jésus semble réfuter le fait que le Messie puisse être fils de David. Il cite le Ps. 110 : « Comment David, inspiré par l’Esprit, peut-il appeler le Messie « Seigneur », si ce dernier est son fils ? Est-ce qu’un père s’adresse à son fils en lui disant « Seigneur » ? Ce passage veut nous suggérer que ce n’est pas la filialité messianique de Jésus qui est importante, sa royauté humaine, mais sa relation au Seigneur. Jésus n’est pas un roi, tel que les Juifs l’attendaient : il est un roi autre.

4. Jésus-Christ, notre Roi.

Malgré cela la tradition chrétienne a conservé ce titre de Roi appliqué au Christ, et nous sommes bien obligés de l’accepter. Si vous feuilletez votre recueil de cantiques « Alléluia », vous rencontrerez assez souvent l’affirmation que Jésus est notre Roi. Comment le comprendre aujourd’hui ? Jésus est notre Roi, parce qu’il détermine notre vie. Mais il le fait sans contrainte. Il est notre protecteur, mais sans coercition. Comme l’écrivait Esaïe, il est un conseiller, un guide. Il n’use pas de force extérieure, mais nous communique son Esprit. Notre rapport avec lui est un rapport de confiance et non de soumission. Luther, dans son traité « De la liberté du chrétien » souligne audacieusement que dans la foi en Christ, nous partageons sa royauté : « Par la foi, écrit-il, le chrétien est élevé si haut au-dessus de tout qu’il devient le seigneur de toutes choses, car rien en peut lui nuire en matière de salut. Bien plus, tout doit lui être soumis et contribuer à son salut ». La royauté du Christ nous rend libres. C’est un point capital.

Car je pense que beaucoup de gens, autour de nous, qui se croient libres, sont en fait très dépendants. Ils sont terriblement influençables et influencés. Nous vivons dans un star-système. Dans tous les domaines, tous les jours, on nous présente des stars à suivre, à croire, des modèles. Pas seulement des chanteurs ou des acteurs ou actrices, mais des scientifiques, aussi, des écrivains, dans tous les domaines. Il y en a tellement qu’il devient difficile d’être soi-même. Être libres : éprouver les choses soi-même, penser par soi-même. Suivre la route qui est la nôtre, même à contre-courant.

C’est user du pouvoir royal que nous donne l’Esprit du Christ. Lui qui est si présent, mais qui maintient avec nous un écart critique et stimulant. Lui qui nous aide secrètement pour que nous aidions aussi les autres. Lui, notre Roi qui s’est fait notre compagnon, qui partage avec nous le pain, et que nous attendons.

Donné à Cosssonay, le 8.12.2019 (Avent II)
René Blanchet