JÉRÉMIE ET LE POTIER : DIEU DANS L’HISTOIRE

JÉRÉMIE ET LE POTIER : DIEU DANS L’HISTOIRE

Jérémie 18, 1-12 ; Romains 8, 31-39 ; Luc 18, 1-8

1. Les gestes du potier

Il y a quelque chose de fascinant dans les gestes d’un potier, dans la manière dont ses mains, pressant sur l’argile, font monter le vase et lui donnent une forme parfaite. C’est la première raison pour laquelle, relisant ce texte de Jérémie, j’ai eu envie de vous en parler. Mais deux autres raisons plus profondes ont déterminé mon choix : Jérémie fait allusion à l’histoire des nations, à leur compétition, à la guerre qui les dresse les unes contre les autres. Quoi de plus actuel : nous ne sommes qu’en 2012 et il y a eu au moins 10 guerres depuis que nous sommes entrés dans le 21ème siècle ! Enfin, la dernière raison est la question inévitable : que penser de cela devant Dieu ?

Jérémie s’est donc rendu chez un potier et il le regarde travailler. Des potiers, il y en avait beaucoup à cette époque, car ils produisaient les ustensiles de base : la vaisselle ou les outils de métal étaient chers. Or, Jérémie observe que, malgré toute son habileté, il arrive que le potier rate son coup. Mais cela ne porte pas à conséquence. Le potier se reprend. Il mêle à nouveau son argile, ponctionne dans la masse et, sur son tour, recommence à façonner une nouvelle forme. Alors s’impose soudain à l’esprit de Jérémie une correspondance entre ce geste du potier avec l’actualité qui le préoccupe. Une correspondance qui s’impose à lui comme parole de Dieu. Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier, dit Dieu. L’idée est celle-ci : de même qu’un potier peut décider d’interrompre la création d’un vase qui s’annonce mal et d’en faire un autre, ainsi Dieu peut laisser tomber son peuple Israël, qui commet le mal et tout reprendre à zéro. A moins qu’il ne se convertisse.

2. Dieu, maître des nations

Il y a de l’audace dans cet avertissement. En effet, les autorités de Jérusalem et tous les habitants sont convaincus que, quoi qu’il arrive, Dieu maintiendra son alliance et sa protection, et ils se reposent là-dessus. Jérémie, qui est un observateur lucide de l’actualité, est beaucoup plus pessimiste. Il ne cesse de souligner la poussée irrésistible des Assyriens. Ils ont déjà conquis la Syrie et le territoire d’Israël du Nord. Pourquoi s’arrêteraient-ils ? L’autre grande puissance, l’Égypte, sur laquelle les notables comptent, est affaiblie. Les événements sont extrêmement changeants. Nous savons que quelques années plus tard, en 612 avant JC, Ninive, la capitale assyrienne tombe devant les Babyloniens. Et sept ans plus tard, en 605, lors de la gigantesque bataille de Karkémish, l’Égypte, la grande puissance de l’époque, sera vaincue, un événement qui annonce à terme la chute de Jérusalem (597/587). Ce sont des énormes bouleversements que nous pouvons comparer aux retournements qui ont eu lieu lors des guerres mondiales du 20ème siècle.

Cependant, Jérémie va plus loin encore dans son interprétation : pour lui, Dieu n’est pas seulement le potier pour Israël et pour Juda, il l’est de toutes les nations. Il est le maître universel qui plante ou arrache les nations à volonté, tenant compte du bien ou du mal qu’elles commettent, mais qu’il relève si leurs habitants changent de comportement et se repentent. Voilà ce que Jérémie doit dire aux autorités de Jérusalem et au peuple. Mais rien à faire ! L’avertissement de Jérémie, qui est aussi une chance offerte, n’aboutira à rien, tellement ses compatriotes sont entêtés.

3. Dieu, maître de l’histoire

 Pour Jérémie, Dieu est maître de l’histoire ! Dieu, le potier céleste qui ne cesse de façonner des vases, et qui sait ce qu’il fait. Un potier qui tient compte cependant de la façon dont les hommes se comportent et qui agit en conséquence. La pensée de Jérémie ne manque pas d’ampleur : il voit, au-delà du chaos provoqué par le choc des nations et les comportements inhumains, la volonté directrice de Dieu.

C’est ce que nous avons nous-mêmes grand-peine à croire : face à toute la violence sans cesse renaissante à laquelle nous assistons, ces massacres, ces destructions, ces exils, ces millions de personnes condamnées à la misère, nous nous demandons : y a-t-il vraiment une régulation venant de Dieu ?

4. Le renversement

En fait, la pensée de Jérémie sur ce sujet a quelque chose de périmé. Il ne conçoit l’action de Dieu que par-dessus : par-dessus les nations, par-dessus l’histoire ; comme un monarque qui impose sa loi et sanctionne durement ceux qui ne la suivent pas. Le Nouveau Testament et la révélation du Christ nous apprennent à regarder autrement les événements du monde. En effet, en Jésus-Christ, le Dieu qui agissait par-dessus est venu habiter dans le monde. Jésus est venu comme un serviteur, il s’est même placé en-dessous ! En lui, Dieu s’est humilié pour se rapprocher de nous et pour partager notre condition de l’intérieur. Un grand renversement a eu lieu, qui a fait que le Dieu par-dessus est devenu pour nous un Dieu par-dedans, avec nous, et même en-dessous de nous. C’est ce qu’indique l’événement de la Croix du Christ, le grand retournement, – folie de Dieu, faiblesse de Dieu -, où son Envoyé assume toute la violence et tout le péché des hommes ! En Christ, Dieu a instauré avec les hommes une relation Je-Tu qui n’était pas imaginable auparavant. Il s’agit d’une nouvelle alliance, par laquelle Dieu veut agir en nous, afin d’agir par nous. Par l’infusion en nous de son Esprit, il permet que désormais nous voyions, jugions, et travaillions selon un esprit nouveau et un cœur nouveau. Dieu a mis en chacun de nous une force que nous ne soupçonnons pas et que souvent nous n’exploitons pas.

5. La force de l’amour du Christ

Nous ne pourrons jamais empêcher complètement les coups durs du destin, le déploiement du mal ; toujours l’histoire nous paraîtra chaotique, obscure, voire même absurde. Et c’est le regard que nous pouvons parfois porter sur notre propre vie. Mais l’apôtre Paul, dans l’admirable passage de sa lettre aux Romains, nous rappelle que rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ qui s’est manifesté. L’amour divin est à l’oeuvre, force qui n’agit pas par-dessus, mais par-dedans, et même par-dessous, à l’encontre des puissances du monde et de la réalité du mal. Car, pour le moment, rien n’est achevé. C’est pourquoi, finalement, nous sommes exhortés à être pareils à cette veuve de la parabole qui, face à l’adversité, reste priante, persévérante et solide, inlassablement. Et qui obtient justice.

Donné à Senarclens, le 21.10.2012,
révisé le 08.06.2023
René Blanchet