JÉRÉMIE ET LE POTIER : DIEU DANS L’HISTOIRE
Lectures : Colossiens 1, 12-20 ; Jean 17, 4-8
1. Des images à décoder
Nous venons de fêter l’Ascension. Et nous nous représentons les disciples, la tête levée, regardant Jésus monter dans le ciel et disparaître dans les nuages… C’est l’évangéliste Luc qui a détaillé le plus cette imagerie naïve, qui ne correspond plus du tout à notre conception du cosmos. Jésus monté au ciel ? C’est une image qu’il faut décoder : qu’est-ce qu’elle veut nous dire ? Quelle réalité ? La même réalité qui se trouve exprimée de manière plus philosophique dans la lettre aux Colossiens que vous avez entendue.
Là, dans une forme d’hymne, le Christ nous est révélé comme étant au sommet des hiérarchies du cosmos, à la fois le premier dans le temps et le premier quant au rang, celui qui domine toutes les puissances et énergies du cosmos. Il est en effet l’image visible du Dieu invisible, qui le représente au cœur de la création, en sorte qu’on peut dire que tout est créé par lui et pour lui… et que tout se tient en lui (v 16-17).
D’autre part, poursuit le texte, il est la tête de l’Église, pour laquelle il s’est abaissé jusqu’à la mort de la croix. Dieu a voulu faire de lui le médiateur et le réconciliateur ; car là est le bonne nouvelle : placé entre Dieu et nous, il nous nous fait accéder à son Royaume de lumière.
Dans l’évangile de Jean, dans un langage non plus cosmologique mais royal tout de même, Jésus demande à son Père de le glorifier auprès de lui, de cette gloire divine qu’il a manifesté parmi les hommes, et qui rejaillira également sur eux (Jean 17, 22).
2. Il est et il a AUTORITÉ
Comment interpréter, pour nous qui vivons plus ou moins péniblement ou routinièrement à la surface de la terre, ces textes d’élévation du Christ, afin de les faire descendre si possible à notre portée ? A mon sens, ce qu’ils veulent exprimer d’important, à travers l’image de l’élévation, c’est que, bien qu’étant mort sur la croix, Jésus est pour nous une autorité et a sur nous une autorité.
Cependant, parce qu’il existe des types d’autorité bien différents, il nous faut préciser tout de suite de quelle autorité nous voulons parler. Il ne s’agit pas de l’autorité d’un dictateur : il semble que ce genre de tyrans à l’égo surdimensionné se multiplie dans le monde ; que nous nous tournions vers l’est ou vers l’ouest, nous voyons un peu partout ce genre de gouvernants : ils veulent clairement dominer, en usant de contrainte sur les gens, n’hésitant pas à modifier les institutions à leur profit, à museler la presse, à emprisonner les adversaires, et bien pire encore, – je n’ai pas besoin de faire un dessin.
L’autorité de Jésus sur nous est d’ordre spirituel ; elle est celle du guide ou du maître plein de sagesse à l’égard de ses disciples : il donne l’exemple et il enseigne. « Ils savent maintenant que tout ce que tu m’as donné vient de toi, écrit Jean, que les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données ». Jésus nous donne des repères pour conduire notre vie, ses paroles nous permettent d’établir des normes, il permet qu’il y ait de la cohérence dans nos existences.
Plus encore, il nous fait participer à son être : en écrivant que le Christ est la tête du corps qui est l’Église, l’auteur de la lettre aux Colossiens suggère qu’il existe entre Christ et les fidèles une relation quasi organique. Il y a entre la tête et le corps des échanges étroits et réciproques. Des échanges nécessaires, puisque si la tête et le corps sont coupés l’un de l’autre, il ne peut plus y avoir de vie. Par le Christ, nous avons la vie, nous sommes transférés des ténèbres au Royaume de la lumière, dit le texte biblique.
3. Un besoin d’autorité ?
Pour nous, admettre que Jésus ait de l’autorité sur nous est un acte d’humilité. Mais qui ne conduit pas à de l’humiliation, bien au contraire ! Nous acceptons, devant Dieu, que nous ne possédons pas la vérité, que nous avons souvent de la peine à faire la différence entre le bien et le mal, entre les ténèbres et la lumière. Nous admettons que nous sommes des êtres qui ne peuvent pas vivre seuls, – c’est l’évidence, qui ont besoin d’être orientés, accompagnés. Mais, en tout cela, nous gardons notre liberté : d’une part, il nous est possible de refuser l’autorité du Christ, de nous y soustraire. D’autre part, son autorité n’élimine pas notre besoin d’explorer, d’expérimenter nous-mêmes, de tâtonner. Notre vie est un apprentissage. Jésus est le sage qui nous prodigue des conseils et non un propriétaire d’esclaves ! C’est une chance infinie que dans un environnement qui nous paraît parfois si absurde, si contradictoire, nous recevions par les paroles du Christ, des buts, une finalité, un sens à notre vie.
C’est aussi en nous référant à l’autorité du Christ, que nous sommes gardés de nous laisser intimider. En évoquant un Christ supérieur aux puissances et dominations régissant le monde, nous sommes invités à ne pas avoir peur, à ne pas nous laisser paralyser.
Le théologien Pierre Bühler, ancien professeur aux Facultés de théologie de Neuchâtel et Zurich, a lancé récemment un manifeste intitulé « Les Églises se taisent-elles ou font-elles entendre leur voix ?» Il remarque que les Églises se sont laissées troubler après l’échec, à la raclette, de l’initiative sur la responsabilité des multinationales ; et que malgré de nombreux exemples de transgressions des principes démocratiques, de mensonges politiques, de violations des droits humains, de favoritisme économique, de négligence à l’égard des plus faibles, les Églises suisses se taisent. Pourquoi se taisent-elles, sinon parce qu’elles ont peur et ne savent pas s’adosser à l’autorité spirituelle du Christ ? Quand il est question d’Églises, il est question de nous, évidemment.
4. Être auteurs
Je termine par le plus important, peut-être. L’autorité permanente de Jésus, que signifie l’Ascension, a pour but que nous exercions notre propre autorité ! Que nous exercions nos propres pouvoirs, à l’imitation de ceux exercés par Jésus-Christ. Le pouvoir créateur : non pas, évidemment, le pouvoir absolu de créer ex nihilo, mais le pouvoir, divin quand même, d’aider à promouvoir la vie, à mettre de l’ordre dans le monde, à former des institutions. Le pouvoir d’aimer, d’entrer en relation avec les autres, d’écouter, de collaborer. Le pouvoir de faire du bien et du beau, de transfigurer la réalité pour qu’elle devienne signe de Dieu – de la présence du Christ.
L’autorité de Christ sur nous nous donne donc le privilège de devenir auteurs de notre propre vie. Auteur – autorité –, deux termes frères qui viennent de la même racine. Être auteurs, consiste ici à construire en Christ sa propre identité. A tracer son propre chemin, non pas contre les autres, ni contre Dieu ; mais, pour reprendre les termes de la lettre aux Colossiens, dans la perspective de la réconciliation du tout, sur la terre et dans les cieux. Dans cette perspective, être auteurs de notre vie, appuyés sur l’autorité du Christ.
Donné à Cossonay le 21.05.2023
René Blanchet