DIRE NON, DIRE OUI !

DIRE NON, DIRE OUI
Lectures : 2 Corinthiens 1, 17-24 ; Matthieu 5, 33-37

1. Dire « non » pose son homme

Dire « non » pose son homme. En disant « non », je me distingue, j’affirme mon originalité, j’exprime mon identité. Il faut savoir dire « non », cela demande un certain courage, face à tous ceux qui suivent le mouvement. Les parents se souviennent, pas toujours avec amusement, comment leurs enfants se sont construits en s’opposant à eux ; et surtout pendant la période de leur adolescence, il ne leur a pas été facile de leur tenir tête. Mais même en tant qu’adultes, les personnes qui disent « non » paraissent plus intéressantes que celles qui sont d’accord. C’est à elles, en tout cas, que les médias s’adressent en premier, à celles qui brisent les tabous, comme on dit. Évidemment, si vous dites « non » à tout, vous passerez pour un caractériel. Mais marquer son refus signifie que vous avez un esprit critique, que vous avez procédé à l’analyse du problème, que vous résistez à l’entraînement. Face aux modes, vestimentaires, alimentaires ou idéologiques, face à la publicité, à l’addiction des drogues, il faut savoir dire « non ». C’est pourquoi, j’aime bien cette devise latine (tirée du Nouveau Testament) : Etsi omnes, ego non ! Même si tous (le font), moi pas. Cette devise est certes un peu orgueilleuse1, mais elle vaut sans doute mieux que l’attitude de ceux qui se cachent en ne disant « ni oui ni non », cette attitude que l’écrivain Georges Bernanos fustige dans son roman « Monsieur Ouine ». Les Vaudois disent « ni pour, ni contre, bien au contraire ! » Ce qui nous empêche souvent, c’est notre peur de froisser quelqu’un, d’allumer un conflit.

J’aimerais maintenant faire une petite minute de silence et vous inviter à faire un modeste exercice mental : vous demander : à quoi ai-je dit « non », récemment ? puis, le contraire, pourquoi n’ai-je pas dit « non »

2. Un « oui » sans hypocrisie

Dans certaines cultures, par politesse ou par prudence, on répondra toujours « oui » à vos questions. C’est gentil, mais cela complique passablement les relations. Il en est de même du « oui » de l’indifférence. Le vrai « oui » signifie l’attention qu’on vous porte, l’accord ou l’adhésion à vos propos, voire la participation à votre projet.

Dans le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5), Jésus
demande à ses interlocuteurs d’éviter les serments, destinés à certifier leur affirmation. Jurer au nom de Dieu ou du Temple consiste en fait à se cacher derrière des formules pieuses. Il s’agit au contraire d’être soi-même responsable de ses décisions : « que votre oui soit oui », dit Jésus. Pas de mensonge, ni d’hypocrisie à l’égard de notre prochain. Nous n’ arrivons pas toujours, et de loin, à tenir un langage sans ambiguïté, mais, comme dans les autres exigences contenues dans le Sermon sur la Montagne, Jésus pose l’objectif.

A nouveau, je voudrais que nous prenions une minute de méditation personnelle pour répondre à ces questions : quand ai-je dit « oui » résolument, puis, quand aurais-je dû dire « oui » ?

3. Le « OUI » que Dieu prononce

Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, Paul se justifie de n’avoir pas pu honorer la visite qu’il avait promise. Il explique qu’il y a été contraint et qu’il ne s’agit pas d’un changement dans l’affection qu’il porte à ses paroissiens. Et il poursuit en affirmant que son « oui » et celui de ses collaborateurs à l’égard des Corinthiens est aussi solide que le « oui » que Dieu lui-même prononce sur eux. Car voici la bonne nouvelle : Dieu a dit « oui » au monde, à la vie, à l’humanité ! Il veut que le monde soit, il veut l’épanouissement de la vie, il nous veut. Il ne retirera en aucun cas son affirmation. C’est trop tard d’ailleurs, car il a déjà « donné » Jésus, le Christ, dont l’engagement dans l’amour a culminé dans l’acceptation de la Croix. Ce « oui » de Dieu est notre force. Il est une force pour tous ceux qui souffrent sur la terre, tous ceux qui dépriment, qui doutent d’eux-mêmes. Il soutient ceux qui ne se croient pas aimés, qui ont subi des échecs, qui sont diminués par la maladie. Le « oui » de Dieu suscite notre propre confiance fondamentale face à la vie, même quand nous la voyons menacée par le chaos, attaquée par le mal, déséquilibrée par le changement climatique.

Le « oui » que Dieu prononce sur le monde et sur nous, est aussi le fondement du message capital de la justification par la foi, selon le langage de l’apôtre Paul. Aux populations païennes de son temps qui se sentaient exclues du salut, Paul disait : vous faites aussi partie du peuple de Dieu, vous figurez aussi dans son plan, vous êtes aussi portés par son amour, sans conditions. Ce message, qui a nourri la Réforme protestante, n’est-il pas ignoré par les masses, aujourd’hui ? L’évènement de la donation gratuite de Dieu me semble toujours essentiel, pour tous.

En effet, pour beaucoup de gens, Dieu apparaît plutôt comme celui qui dit « non ». Il est le Dieu de la Loi, dont les commandements commencent par : « tu ne feras pas… » Pour eux, Dieu est celui qui empêche, qui restreint la liberté, qui brime la vie. Dieu n’est pas l’ami et le conseiller positif, mais l’adversaire, le censeur, le juge. Leur Dieu ressemble à celui de l’Islam dur. Ils sont incapables de voir le « oui » qui se profile derrière le « non » ; un « non » qui doit aussi se prononcer, pourtant. Ce « non » est destiné à protéger l’autre. Le « non » de la loi n’est pas la négation absolue, son but est d’établir une limite pour garantir un espace de vie pour chacun, en priorité pour les plus faibles. Le « non » est au service du « oui », et c’est ainsi que nous devons recevoir toute parole de Dieu.

4. Notre position dans la vie

Je vois dans le délitement de la démocratie en de nombreux pays, y compris, – chose étonnante -, aux États-Unis, je vois dans la brutalité des prises de pouvoir et des conflits, une mise à l’écart du « oui » de Dieu. Et par là l’abandon des « non » qui protègent la vie des plus petits. Quand on n’entend plus l’affirmation de Dieu, on veut s’affirmer soi-même. Et l’on est conduit à nier tous les autres. L’accueil de Dieu, tel qu’il apparaît dans la vie du Christ, nous incite également à accueillir les autres, à les écouter. Cela n’implique aucunement que nous abandonnions notre esprit critique, au contraire, nous devons faire un effort supplémentaire pour faire la différence entre l’essentiel et le secondaire, entre les différents niveaux de réalité. Et si, au-delà de certains désaccords, nous adressons un « oui » fondamental à notre prochain, ce n’est pas pour oublier le « oui » semblable que nous avons le droit de nous accorder à nous-mêmes ! Ce serait le comble, que Dieu prononçant son « oui » à notre égard, nous en venions à nous nier nous-mêmes ! La confiance que Dieu nous accorde détermine notre position dans la vie. Elle est, en nous, la source de notre confiance dans le monde, dans la vie, dans les autres, en dépit de toutes les négativités.

Donné à Cossonay le 24.07.2022
René Blanchet

1 Telle, la réponse de Pierre à Jésus, en Marc 14, 29, et parallèles, à l’origine de la devise.