CHRIST AU COEUR DE NOS DIVERSITÉS
Lectures : Romains 15, 5-13 ; Marc 2, 13-17
1. Une grande diversité
Nous venons d’évoquer le nombre et la diversité des Églises de migration dans notre pays : toutes sortes de langues, d’ethnies, de rites et de doctrines aussi. Mais il faut préciser que cette diversité n’est pas nouvelle : elle a caractérisé le christianisme depuis l’origine. Il suffit de rappeler le fait qu’il y ait quatre évangiles, qui provenaient sans doute de régions distinctes et qui dépeignent le Christ avec des accents différents. D’autre part, Paul n’est pas Pierre, ni Jacques, qui ont dû confronter leurs visions théologiques divergentes. Les grands centres de l’Église ancienne, Antioche, Jérusalem, Alexandrie, puis Constantinople et Rome, avaient chacun leurs particularités.
Hélas, on passe facilement de la diversité à la division. L’empereur Constantin qui, au début du IVème siècle, avait fait du christianisme une religion licite, constatait déjà de sérieuses divisions entre les évêques : soucieux de l’unité de l’Église et de celle de l’empire, il avait convoqué le premier concile, à Nicée, dans le but de mettre tout le monde d’accord. Il n’y est pas vraiment arrivé et les conciles qui ont succédé ont provoqué à chaque fois condamnations et exclusions, sans réduire la diversité. Il est resté des ariens, des docètes, des nestoriens, des monophysites, des sabelliens, et j’en passe. La politique autoritaire et dogmatique de Rome n’a pas non plus empêché la floraison de toutes sortes de mouvements et pratiques admirables ou contestables, jusqu’à ce que la Réforme vienne opérer la profonde remise en question théologique et éthique, qui a chambardé le monde. Aujourd’hui, vous le savez, le protestantisme, consiste en une pluie de communautés bigarrées : réformés, luthériens, anglicans, méthodistes, évangéliques, pentecôtistes, adventistes, quakers, des centaines de dénominations. De plus, si je vous demandais, à chacun de vous, ce que vous croyez et comment vous envisagez votre foi chrétienne, je pense qu’aucune de vos réponses ne serait pareille.
2. Ce qui fait l’unité
Cette disparité qui s’est intensifiée à notre époque peut légitimement nous faire peur. Sommes-nous capables de l’assumer ? Est-ce qu’elle est un signe de richesse ou de faiblesse du christianisme ? S’il n’y a pas de communication entre toutes ces tendances, si nous ne nous parlons pas, toute différence devient une source de scission. S’il n’y a pas de dialogue qui s’instaure entre les discours, s’il n’y a pas d’oecuménisme entre les communautés, nous entrons dans une situation de méfiance, de compétition, voire de guerre ou de chaos. Certains craignent de perdre leur identité : ils voudraient définir un socle de convictions communes, une confession de foi, qui devrait être contraignante pour les parties, si elles veulent travailler ensemble. Mais ce socle de convictions ne va-t-il pas se figer rapidement et devenir un instrument d’exclusion pour tous ceux qui ne se reconnaîtraient pas dans ces affirmations ? Est-ce ainsi qu’on atteindra l’unité, en restreignant la diversité et la liberté de la pensée ?
Finalement, qu’est-ce qui fait l’unité du christianisme, sinon le Christ lui-même, en qui chaque chrétien croit et dont il fait une expérience intérieure. Cette expérience de la Présence de Dieu ou du Christ dans notre vie est centrale. C’est là que nous entendons la Parole qui nous ouvre au message de la grâce et de l’amour de Dieu, et qui nous appelle personnellement. La foi ne peut être que cette réception intérieure et notre mouvement de réponse. Il est évident que cette expérience, pour fondamentale qu’elle soit, n’est jamais parfaite : elle peut être biaisée, nous nous laissons distraire. Elle peut être étouffée par ce tout ce qui nous passe par la tête. C’est pourquoi nous avons également besoin de paroles extérieures sur lesquelles nous appuyer, un message qui puisse nous guider, un témoignage écrit ou oral qui nous incite à revenir vers la source spirituelle, à y être attentifs. Il reste que ces paroles extérieures, et même si c’est une confession de foi, n’ont pas d’autre but que de nous mettre en présence du Christ, qui seul fait l’unité.
Si nous sommes convaincus de cela, la diversité ne nous fera plus peur, car nous saurons que nous sommes toujours attachés au Christ qui nous rencontre tous, aussi dissemblables que nous soyons, peut-être aussi opposés que nous soyons. Mais il est clair qu’en plus, nous devons être persuadés que c’est justement l’autre, l’étranger, le différent, le Samaritain, qui détient peut-être la parole salvatrice, décisive pour nous. Il est logique que nous nous écoutions mutuellement, que nous entrions en dialogue, que notre attitude de base soit celle d’un accueil réciproque, reconnaissant que l’autre est bénéficiaire du même amour du Christ.
3. Une unité pour quoi faire ?
Nous découvrons ainsi ce qu’on pourrait appeler une unité plurielle, une unité qui ne sera jamais uniformité, monotonie, malgré la grande tentation, l’idéal de vouloir constituer une communauté ou une Église parfaitement homogène. C’était probablement l’idéal des premiers missionnaires que d’édifier en Afrique, en Asie, partout, des communautés qui soient conformes à celles qui les avaient envoyés. Heureusement, dirons-nous, ils n’ont pas réussi leur coup. Nous découvrons aujourd’hui cette grande pluralité chrétienne, qui nous oblige à abandonner l’ancienne conception missionnaire de l’expansion pour adopter celle du partage et de la mise en commun. C’est la politique de notre Département missionnaire, mais c’est aussi son souci. Car autant il trouvait du soutien quand on avait le fier sentiment d’exporter au-delà des mers ce qu’on estimait comme étant le meilleur de notre civilisation, autant l’échange et le partage avec des égaux ne fait plus recette. Le Département missionnaire a de gros soucis financiers. La mission reste cependant impérative : elle prend la forme du service, de l’entraide, du partage, au près comme au loin. Nous avons besoin les uns des autres, non pour perdre notre identité, mais pour l’enrichir. Une identité qui ne doit pas être de façade uniquement, comme ces décors de théâtre ou de cinéma qui font illusion, mais dont on sait qu’il n’ont pas de bâtiment derrière. Une communauté d’écoute, de partage et de service est une communauté inclusive. Je me demande ainsi si notre paroisse est inclusive ou si elle est exclusive. Je me demande si nous sommes nous-mêmes inclusifs ou exclusifs, face à ce qui est différent, face à la diversité, face aux autres différents. Avons-nous la bonne attitude ?
4. Une diversité qui nous dépasse ?
A bien des égards, nous devons avouer que ce caractère de pluralité du christianisme nous dépasse : cette profusion de communautés nous semble vraiment peu maîtrisable. Et il faut compter avec le nombre important de nos concitoyens qui sont indifférents, incroyants ou athées. Le danger est grand que nous rentrions prudemment dans notre coquille, en repliant nos antennes, comme l’escargot. Mais céder à cette tentation, c’est la mort par sclérose, par asphyxie. Nous avons un devoir d’ouverture qui n’est pas à bien plaire, en christianisme.
Or, voilà l’important à considérer, et c’est avec cela que j’aimerais terminer : premièrement, il ne nous est demandé de transmettre et de témoigner que de ce que nous avons reçu. Donc, deuxièmement, nous devons nous demander, chacun d’entre nous : qu’ai-je reçu en matière d’Évangile, au niveau de la foi ? C’est cela seul qu’il m’est demandé d’offrir, cette grâce de Dieu qui m’a été communiquée. Si nous faisons fond là-dessus, je pense que la diversité et la complexité au milieu desquelles nous vivons ne nous effrayeront plus. Nous pourrons avoir confiance : parler et surtout écouter ceux que nous rencontrons et contribuer ainsi à l’inclusion des diversités dans l’Église. Chacun partant de son expérience du Christ, nous construisons l’unité plurielle dont le christianisme et également le monde ont besoin. Unité plurielle que nous préfigurerons tout à l’heure en célébrant la Sainte-Cène, le repas de l’unité.
Donné à Cossonay le 27.01.2019
René Blanchet