CHERCHEZ… ET VOUS TROUVEREZ

Lectures : Jérémie 29, 11-14 ; Actes 17, 26-28 ; Matthieu 7, 7-8

1. Un esprit de recherche

Peut-être avez-vous lu que la Suisse était au premier rang de toutes les nations pour l’innovation industrielle et financière. Nous sommes champions en matière d’inventivité et de rendement. Le taux de brevets suisses par habitants déposés chaque année est le plus élevé au monde. Serions-nous plus intelligents que les autres ? Je ne le pense pas ; mais notre pays n’a probablement pas d’autre choix pour s’en sortir que de faire fonctionner à plein sa matière grise. Dans toutes les entreprises qui marchent, il y a un département RD : Recherche et Développement.

J’aimerais que dans notre Église, il y ait ce même esprit de recherche. « Cherchez et vous trouverez, » dit Jésus. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice. » Mais de fait, c’est dans toute la Bible que nous pouvons entendre cette affirmation : « Je cherche le Seigneur », et cette exhortation : « Cherchez, recherchez Dieu ! »

2. La force de la tradition

Cependant, force est de constater que nous, chrétiens, sommes moins des chercheurs que des hommes de tradition. Nous avons reçu un héritage de valeur et notre souci est de le transmettre autour de nous et aux générations futures. Être des chercheurs, des inventeurs ? Paroissiens, nous sommes des gens qui répètent la tradition plutôt qu’une communauté de chercheurs : pourquoi ? La tradition est-elle trop imposante, trop enveloppante, est-ce qu’elle nous paralyse ? Sommes-nous déjà satisfaits, rassasiés, engourdis ? J’observe que la majorité des croyants aspirent plutôt à être rassurés, dans ce monde chaotique dont on ne sait où il va, consolés des blessures et des malheurs qu’ils subissent ; et non pas tellement à chercher quelque chose de neuf.

D’ailleurs, qu’y a-t-il à de neuf à chercher ? L’apôtre Paul n’a-t-il pas écrit qu’il y avait un seul fondement, Jésus-Christ, et qu’on ne pouvait pas en poser un autre ? Pourquoi chercher un trésor que nous avons déjà trouvé ? Faisons le rapprochement avec ce fabuleux trésor qu’on a découvert ces derniers jours dans les caves d’un temple hindou de l’État du Kerala : or, argent, diamants, bijoux, estimés à une quinzaine de milliards. Nous pourrions dire que, nous aussi, nous vivons assis sur un trésor incommensurable. Il s’avère qu’en Inde, les autorités politiques et les responsables religieux se battent déjà pour savoir à qui appartient cette trouvaille et ce qu’on va en faire : la garder, la réaliser… Et pour ce qui nous concerne, notre trésor, qu’en faisons-nous ? En effet, à propos du fondement de notre foi, Paul ajoutait, quand même, que posés sur cette base, on pouvait bâtir de bien des manières différentes !

3. Intensification et renouvellement

Mon but, ce matin, c’est de réécouter avec vous Jésus qui nous dit : « Demandez et l’on vous donnera. Cherchez et vous trouverez. Frappez et l’on vous ouvrira la porte. » Et à me demander ce que veulent tous ces écrivains bibliques qui nous font la même injonction : « Cherchez, recherchez Dieu ! »

Le chercher veut dire d’abord le prier. L’évangile fait explicitement référence aux demandes que nous pouvons adresser à Dieu pour obtenir les bonnes choses que tout père normal donne à ses enfants ; pour obtenir les choses essentielles, nécessaires à notre existence. Mais quand Jésus dit : « Recherchez d’abord le Royaume et sa justice », quand les prophètes, les psalmistes disent : « Recherchez le Seigneur, » – son visage, sa volonté, son secours, son amour, Dieu ne fait-il pas aussi appel à notre responsabilité pour les autres, pour l’Église, pour le monde ?

Ce que nous avons à chercher, je crois, c’est une intensification et un renouvellement : une intensification, parce que nous vivons notre foi au ralenti ou même en stand-by ; un renouvellement, parce que la société a changé, ainsi que sa culture et ses besoins. C’est comme si elle-même exigeait de nous une nouvelle manière d’être relié à Dieu, de le comprendre, de l’aimer ; une nouvelle manière de suivre le Christ, de l’imiter dans son être au monde, dans le rapport qu’il avait avec les autres ; une nouvelle manière, enfin, d’exprimer l’Évangile, afin qu’il soit entendu aujourd’hui. C’est cela que nous sommes appelés à chercher, chacun depuis son lieu et avec ses dons particuliers ; mais également ensemble, en formant en quelque sorte une communauté de chercheurs.

4. La Bible comme miroir

Chercher signifie prier, avons-nous dit ; mais également questionner, interroger, examiner, enquêter, expérimenter, tester. C’est un travail, un processus, un cheminement. Les scientifiques entrent dans leur laboratoire pour manipuler leurs instruments, les savants dans leur bureau pour travailler leurs textes ; nous prenons, nous, la Bible comme miroir pour y refléter la vie du monde, l’existence des hommes et des femmes, avec leur désir infini, l’histoire et ses drames, le présent, ses difficultés, son incertitude. Nous nous reflétons nous-mêmes dans ce miroir, étant personnellement impliqués, et nous nous questionnons, nous nous critiquons, nous cherchons à aller jusqu’au fond de notre moi, jusqu’au plus intérieur de notre intérieur, là où Dieu veut nous illuminer, comme disait saint Augustin. Et puis, il y a toutes les expériences que nous faisons dans le contact avec les autres, dans le champ de l’amour du prochain, dans l’espace du dialogue et de la collaboration.

De ces observations, de ces confrontations doivent jaillir, avec l’aide du saint Esprit, des idées nouvelles, un langage nouveau sur la manière dont Dieu veut nous rencontrer aujourd’hui, nous et tous les hommes de la terre. Pour peu que nous cherchions patiemment, avec persévérance, avec espérance, et ensemble. Les scientifiques et les savants travaillent en équipe, ils se communiquent régulièrement leurs résultats, ils forment une espèce de communauté. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose, nous comprenant comme une communauté de chercheurs en Jésus-Christ ? Si nous n’arrivons pas à le faire, je crains que l’Église que nous formions ne meure, ou qu’elle tombe en état d’hibernation prolongée. « Cherchez le Seigneur et vous vivrez ! » s’écriait le prophète Amos. Une foi qui n’est pas en recherche est morte.

5. Le paradoxe

Or, si nous nous mettons à chercher activement, nous débouchons sur un paradoxe ! Saint Augustin l’avait exprimé dans ses Confessions, – c’était déjà vers l’an 400 – en mettant sur les lèvres de Dieu cette phrase superbe : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. » Oui, l’énergie qui nous fait chercher Dieu avec intensité, la motivation qui nous pousse vers une nouvelle compréhension de l’alliance entre Dieu et les hommes, viennent, paradoxalement, du fait que nous l’avons déjà trouvé ; ou comme dit Paul, qu’il nous a déjà trouvés. Nous recherchons le but, parce que nous partons du but : tel est le paradoxe de la foi, qui faisait dire à Jésus : « Qui cherche trouve ! »

Mais si la graine est semée, si elle a commencé de germer, elle n’a pas encore poussé de tige. Elle est non seulement cachée, mais pas encore développée. C’est pourquoi Dieu veut que nous soyons chercheurs. J’aimerais encore donner l’exemple de saint Augustin, que j’ai eu l’occasion d’étudier passablement ; il évoque dans son livre autobiographique, appelé « Les Confessions » sa longue recherche d’une vérité qui puisse le convaincre, son long retour vers la foi chrétienne, à travers beaucoup d’obscurités et de tourments. Rétrospectivement, revenant sur toutes les étapes de son parcours et ses tâtonnements, il reconnaît que Dieu ne l’avait jamais lâché, qu’il était présent de manière cachée, relançant sa recherche et patiemment convertissant son désir. Et Saint Augustin de ponctuer son récit de cette remarque : « Et moi je ne le savais pas. »

Mais nous, nous savons que Dieu est présent et qu’il nous assiste. Notre recherche est accompagnée, elle se déroule en prolongation du chemin de Jésus-Christ. Raison pour laquelle – et c’était là mon propos – nous sommes appelés à être, consciemment et sans crainte, des chrétiens qui cherchent.

Donné à Cossonay le 10.07.2011

René Blanchet