FAIRE COMMUNAUTÉ
Lectures : 1 Pierre 2, 1-10, Luc 24, 44-50
1. Destruction
Nous avons tous été atterrés par les images que nous avons reçues du tremblement de terre qui a eu lieu en Italie ; ces monceaux de pierres, de débris de murs qui jonchent les rues, ces restes de façades, ces maisons ruinées, comme après un bombardement, avec des morts, bien sûr. Et, en même temps, nous pouvions être étonnés de découvrir des maisons restées parfaitement intactes ! Les chances n’ont pas été les mêmes pour les personnes qui habitaient de vieilles maisons et celles qui ont bénéficié de techniques plus modernes. Pour les victimes qui ont perdu leurs biens, des membres de leur famille, leur travail, c’est comme si leur vie s’était brusquement arrêtée. Pour elles, nous n’espérons pas seulement la rapide reconstruction de leurs maisons, mais surtout la reconstruction de leur vie. La reconstruction sera pour elles une résurrection.
2. Reconstruction
Inversement, ainsi que le suggère la 1ère lettre de Pierre, la résurrection est une reconstruction : « Approchez-vous de lui, – Christ – pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. » La résurrection est une reconstruction. C’est Dieu qui reconstruit. On avait cherché à écarter définitivement Jésus, ce prophète trop dérangeant, trop radicalement novateur. Comme sur un chantier, on avait poussé de côté cette pierre, qui ne semblait pas convenir au plan de construction. La Croix, c’était une manière de déclasser et d’exclure. Or, celui qu’on considérait comme une pierre morte, Jésus-Christ, a été ramené au centre ; il est devenu la pierre principale d’une nouvelle construction ; Dieu en a fait la pierre vivante, la pierre angulaire qui fonde la communauté vivante de l’Église. Dès lors, la vie de la communauté chrétienne devient un signe de résurrection. En éliminant Jésus, on avait voulu couper la perspective nouvelle qu’il annonçait. Par son existence même, la communauté chrétienne trace une ligne de continuité au cœur de la discontinuité. Par sa proclamation et par ses actes, elle manifeste que le Christ continue d’être actif en elle. Mais pour cela, il faut qu’elle soit réellement vivante : « Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la maison spirituelle…»
3. Communauté
J’aimerais réfléchir avec vous sur le thème de la communauté comme construction spirituelle. Nous voyons bien la difficulté qu’il y a aujourd’hui à construire une communauté, et surtout une communauté spirituelle. Nous ne savons d’ailleurs plus très bien en quoi cela consiste. Loin d’être liés et articulés ensemble comme les pierres d’une même construction, nous savons que nous n’avons que des attaches minimales les uns avec les autres. Quand nous regardons cette église d’Éclépens, la cohésion de ses pierres et l’ensemble solide et harmonieux qu’elle forme, nous ne pouvons que nous dire : voilà une parabole de ce que nous ne sommes pas. En effet, la société d’aujourd’hui nous pousse à nous concevoir comme des êtres indépendants et à cultiver l’individualisme à l’extrême. Sans compter les moyens de communication sophistiqués que nous avons à disposition et qui risquent de nous ôter l’envie de nous rencontrer réellement…
Essayons, en nous appuyant sur le texte de ce jour, de rechercher ce que signifie être une communauté vivante. D’autant plus que vous êtes là, réunis, ce qui constitue une sorte de miracle, une preuve de résurrection. La communauté chrétienne n’est pas définie par ses frontières. La pratique du baptême et de la confirmation n’ont pas pour but de constituer des barrières. La communauté existe en premier lieu parce qu’on y partage quelque chose de commun. « Comme des enfants nouveaux-nés, désirez le lait pur de la parole : » c’est le partage de la parole de vie comme d’une nourriture qui nous rassemble. Nous sommes donc là pour manger et boire, ce que nous faisons réellement lors de la sainte Cène, et symboliquement quand nous écoutons et interprétons ensemble l’Écriture. Les premiers chrétiens mangeaient souvent ensemble, le dimanche soir, lors de leurs agapes, un terme spécifiquement chrétien. A leur exemple, nous devrions être plus conscients, si nous voulons faire vivre la communauté ecclésiale, qu’elle est d’abord un lieu où l’on partage un don que nous recevons, la parole du Christ vivant. A l’évidence, ceux qui ne viennent pas n’ont pas saisi qu’il y avait ici quelque chose à partager : au niveau de la foi ; d’autres personnes à rencontrer et à considérer : c’est le niveau de l’amour ; une finalité à chercher et à attendre : c’est le plan de l’espérance.
4. Spirituelle…
« …Pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » La première lettre de Pierre utilise des termes très religieux, qui font allusion à des institutions de l’Ancien Testament, mais c’est justement pour les travestir en quelque chose de neuf. Nous devons être comme des prêtres, mais pour offrir des sacrifices spirituels, et non pas seulement rituels. Ainsi, il nous arrive de comparer notre congrégation ecclésiale avec d’autres institutions ou associations, et de la trouver bien fragile, isolée, peu influente. Nous aimerions parfois travailler comme ces dernières, en nous basant sur les intérêts matériels des personnes, ou sur leurs désirs d’évasion, de distraction, voire de prestige ; nous aimerions compter beaucoup plus sur leurs besoins sociaux. Et utiliser la publicité et les actions qui y correspondent. Notre tentation la plus forte est probablement de vouloir singer les institutions sociales. Or la lettre de Pierre nous parle des sacrifices spirituels que nous avons à offrir : c’est-à-dire des actions que nous à faire avec l’aide du St-Esprit et qui mettent en rapport les personnes avec le sens de leur vie, avec leur vocation particulière, avec leur salut. Des actions qui ne jouent pas simplement avec les intérêts, les désirs ou les besoins des gens, mais qui essaient d’y répondre en les présentant, en quelque sorte, à Dieu. Ces sacrifices ne sont rien d’autre que des manifestations concrètes d’amitié, de conseil, de présence, d’entraide, de dialogue, que n’importe qui peut faire, mais ils sont spirituels parce qu’ils s’opèrent devant Dieu et s’effacent devant Dieu. « Une communauté sacerdotale »,dit le texte ; rien à voir avec une caste fermée de prêtres, du genre de celle que Jésus a dû affronter. Nous sommes simplement invités à être des médiateurs du Christ, des relais discrets qui peuvent lui donner accès, afin que ceux qui cherchent trouvent !
5. Ce spirituel qui paraît vide…
C’est peut-être le plus difficile à accepter : que la substance, le cœur de notre communauté soit d’ordre spirituel et pas autre chose. Parce qu’il est spirituel, ce cœur ne se voit pas et à vues humaines, il paraît vide. Nos réformateurs n’ont pas eu peur de ce vide quand ils ont enlevé des églises toutes les décorations, les statues et même la lampe qui indiquait la présence du saint-sacrement consacré, comme dans les églises catholiques. Ils ne voulaient pas qu’on remplisse avec de l’humain, du religieux, du social, la place qu’il fallait garder vide pour que nous puissions y rencontrer Dieu. Personne ne doit occuper cette place vide. Vous m’excuserez, mais je diagnostique le désir de certains membres de l’Église, qui voudraient que le pasteur, ou le conseil de paroisse, ou le Conseil synodal exerce une autorité plus draconienne, ou occupe de façon plus forte la place du centre, comme une peur du vide, ou plus exactement comme un oubli du fait que le cœur de notre communauté est spirituel. Savoir cela, j’en suis persuadé, nous permet de mieux participer à la construction et à la vie de la communauté, dont nous sommes tous des pierres vivantes. Le Christ a besoin du poids et de la masse de chaque pierre, et non seulement de quelques-unes. Il a besoin de notre autorité à chacun, et non seulement des autorités particulières, bien qu’elles soient légitimes, évidemment.
6. Pierres vivantes
Je glisse vers la fin du texte de l’épître, qui utilise toute une série d’expressions tirées de l’Ancien Testament pour désigner la communauté des pierres vivantes : il est question de race élue, de communauté royale, de nation sainte, autant de noms de prestige destinés à encourager les destinataires de la lettre à ne pas se mésestimer et à ne pas céder aux moqueries ou à la persécution des païens et des juifs au milieu desquels ils vivaient. Ces traits sont également valables pour nous : nous devons éviter de succomber au dénigrement de nous-mêmes, au syndrome du mépris que nous occasionnerait un jugement trop facile sur l’état de notre propre communauté. Nous devons l’aimer, la regarder comme le Christ la regarde, c’est ainsi que nous lui ferons du bien, comme à tous ceux qui viennent y chercher leur partage.
«Vous qui jadis n’étiez pas son peuple, mais qui maintenant êtes le peuple de Dieu ; vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde. » L’existence de l’Église tient du miracle, que ce soit dans le monde ou chez nous. Elle est en progression en Chine, en diminution en Europe, dit-on. Ces mesures quantitatives ne sont pas importantes en soi. Ce qui est important, c’est que nous saisissions à sa juste mesure le caractère extraordinaire de la présence et de la vie d’une communauté – la nôtre – comme peuple de Dieu. Elle pourrait n’être pas là : elle est là. Cela ne tient aux qualités et mérites de personne : cela vient de Dieu qui fait miséricorde. Cela vient du Christ qui est une pierre vivante et qui fait vivre tous ceux qui s’approchent de lui. En qui s’édifie et se construit la communauté qui partage sa parole. Pour nous, donner suite à la fête de Pâques, c’est donc que nous tenions compte de la dimension spirituelle de notre communauté paroissiale. Personne, je l’espère, n’en conclurait qu’il faudrait se garder de tout faire pour que cette communauté soit ouverte, accueillante, attrayante, exempte d’envie et de médisance, aimante et paisible !
René Blanchet
Donné le 19.04 2009 à Éclépens