Lectures : Romains 8, 22-27 ; Luc 18, 1-8
1. La parabole : persévérance et confiance
Avez-vous déjà téléphoné à une grande administration, à une assurance ? Une voix vous invite à presser sur le bouton 1 s’il s’agit de ceci, sur le bouton 2 s’il s’agit de cela, cela peut aller jusqu’à 9; et quand vous arrivez au bout de l’écoute, vous avez évidemment oublié l’affectation des premiers numéros. Vous tapez alors sur l’un d’eux, un peu au hasard. Au bout d’un moment musical – pas toujours du Vivaldi, heureusement – on vous répond et on vous transfère vers « votre » correspondant. Nouvelle attente, qui peut se prolonger, et la valse n’est pas finie…
Il faut de la persévérance : ainsi en est-il des démarches de la veuve de la parabole auprès de ce juge, qui nous est décrit comme étant parfaitement amoral et inhumain. Il ne veut rien faire, mais la veuve insiste et insiste, sûre de son bon droit. Finalement, le juge, qui craint pour sa réputation et même d’être malmené, lui rend justice. A plus forte raison, dit Jésus, votre Père, qui, lui, est miséricordieux, répondra-t-il à votre prière ! Faut-il de la persévérance ? Surtout de la confiance ! Dieu exauce !
2. Pourquoi prier ?
Pourquoi prier ? Pour beaucoup de gens et nous aussi, peut-être, nous n’en avons plus tellement besoin. Notre existence semble bien assurée, et nous y veillons nous-mêmes. Pour le trio des philosophes critiques, Marx, Nietzsche, Freud, la prière est une action naïve, enfantine, indigne d’un homme majeur et accompli. Voilà une position assez orgueilleuse, qui surévalue la puissance humaine et son statut. Nous voyons bien aujourd’hui que nous ne pouvons pas tout. Nous sommes des créatures, au cœur d’une création. Mais l’essentiel est plutôt que nous croyions en un Créateur, un donateur d’existence et de vie, un Autre que nous qui nous fait face et sans lequel nous ne serions rien. Il y a entre Dieu et nous un dialogue, un échange, et il est naturel qu’il se traduise par des formes de prière, la requête, mais aussi la gratitude, l’action de grâce, la louange.
3. Luc et Paul
Le NT nous montre que les communautés primitives étaient dans une situation précaire : elles étaient marginalisées, rejetées, souvent persécutées par l’État. Les chrétiens avaient parfois le sentiment d’être abandonnés de Dieu, dont les promesses ne se réalisaient pas. D’où ces réflexions, à la fin de notre parabole, sur le sentiment que Dieu tarde à accomplir son plan, et l’inquiétude de Luc qui sent un affaiblissement de la foi dans les rangs de l’Église : Quand le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?
Quant à l’apôtre Paul, il décrit comment toute la création est en attente d’accomplissement, en espérance de Dieu, comment elle pousse toutes sortes de gémissements en vue d’une complète délivrance. C’est l’Esprit saint qui est le moteur de cette prière informulée, car son action est plus importante que les mots eux-mêmes. La prière existe parce que nous sommes dans une réalité inachevée, encore en gestation, en évolution. La prière exprime ce mouvement vers une communion finale.
4. Méditation et prière
Si la prière est parfois regardée avec méfiance, la méditation paraît avoir les faveurs du public. Il y a de nombreux cours et stages qui proposent un apprentissage de divers types de méditation, méditation dite « de pleine conscience », de type bouddhiste, ou méditation orientée chrétienne. La méditation consiste à adopter une position d’écoute. Il s’agit de faire silence en soi, de rejeter les pensées ou les sentiments parasites, nos obsessions. Notre corps, surtout, ne doit pas être un obstacle, mais un allié, d’où l’importance de la posture, de l’attention.
Quel est le but de la méditation ? Cela dépend de nos convictions. Pour certains, il s’agit de retrouver un état de paix intérieure, de réconciliation avec soi, d’indépendance à l’égard de tous les troubles extérieurs : cela correspond à une orientation de type bouddhiste ou zen. D’autres cherchent à s’ouvrir « à ce qui vient », une incitation, une idée, une parole ; quelque chose qui leur permet de faire un pas en avant, qui ôte leur préjugé, qui enlève un blocage intérieur, qui constitue peut-être une solution à un problème. Les chrétiens s’orienteront plutôt dans cette direction.
En fait, la méditation n’est pas nouvelle. Depuis presque deux millénaires, les moines chrétiens, notamment, la pratiquaient déjà. Dans la liturgie, au cours de la journée, ils ménageaient de longues séquences de silence pour être ouverts à ce que Dieu avait à leur dire, étant à l’affût d’un appel, d’une parole, tout en essayant de s’extraire le plus possible des bruits et agitations de l’extérieur.
5. L’essentiel de la prière
La méditation correspond donc à la prière qui a la forme de l’écoute. Mais la prière a d’autres formes : la demande, l’action de grâces, la louange, l’intercession, qu’elles soient individuelles ou collectives, libres ou guidées. Sa particularité chrétienne est qu’elle s’appuie sur une relation donnée et s’adresse à un TU. Elle n’est pas un cri dans le vide, mais s’apparente à un dialogue. Il nous faut souligner que dans l’AT, l’invocation à Dieu comme à un Père ne figure que deux fois : dans le livre de Jérémie. C’est Jésus qui nous a appris à nous tourner vers lui, non pas comme vers un juge, mais comme vers Notre Père, dont nous pouvons nous considérer comme ses enfants. Cette intimité incroyable est peut-être justement ce que beaucoup de nos contemporains ont de la peine à accepter, raison pour laquelle ils préfèrent se tourner vers une méditation qui laisse son objectif dans le flou. Car la réalité ou la figure de Dieu leur fait problème, ce Dieu d’éternité, indéfinissable, incompréhensible. L’image du Père – car c’est une image! – leur paraît trop familière, ils craignent pour leur liberté, et pour eux Dieu est un être lointain. Quant aux chrétiens, c’est bien à cause de Dieu, le Dieu d’amour révélé par Jésus, qu’ils prient, si possible avec persévérance. Ils ne doivent pas s’y tromper : c’est bien en Dieu qu’il faut croire, et non en la prière, comme à un moyen magique pour obtenir ce que l’on désire. Dieu, celui qui donne et se donne, celui qui a pris visage en Jésus-Christ, celui qui nous aide.
La prière chrétienne est une conversion : elle consiste à se retourner vers Dieu, en nous détournant de ce qui nous semble vain, erroné ou faible. Elle est une réorientation de notre vie. C’est finalement le tout de notre vie que nous mettons dans notre prière, au-delà de nos demandes particulières, qui ne sont parfois pas exaucées. Ces non-exaucements, nous devons les accepter, de la même façon que nous devons accepter notre mort. Ce qui importe cependant, c’est que notre réorientation vers Dieu contribue à ce que le Règne de Dieu vienne dans le monde. La prière est une conversion, ai-je dit. Elle est aussi une conversation, à l’instar de ces conversations que nous poursuivons avec des amis et qui font tout le sel de la vie. Puissions-nous retrouver le goût de la prière en y entrant comme dans la conversation la plus amicale et la plus substantielle.
René Blanchet, donné à Cossonay le 12.11.2021