PEUR DE L’AUTRE !

Lectures : Exode 14, 10-14; Romains 8, 14-17 ; Luc 12, 4-7

1. A propos de l’initiative pour l’interdiction des minarets en Suisse

Vous avez sans doute entendu parler des tentatives qui sont faites en vue de lancer une initiative populaire dont le but serait l’interdiction des minarets en Suisse. Car les minarets ne représenteraient pas un signe religieux, lié à l’identité de la foi musulmane, mais seraient un signe de puissance, de domination. Il est clair, chers paroissiens, que je dois veiller à ne pas faire de politique en chaire. Par contre, il me semble avoir le droit de poser quelques questions qui touchent à l’éthique politique. Je crains que dans cette question des minarets, on ne veuille attenter à quelque chose de très important : la liberté religieuse de la communauté musulmane; donc la liberté religieuse tout court, pour l’obtention de laquelle de nombreux protestants ont lutté pendant plusieurs siècles. Une restriction à la liberté religieuse des autres ne tarderait pas à se retourner contre nos Églises elles-mêmes.

Mais il y a autre chose. Cette question de minarets est un paravent : elle masque un problème bien plus profond: l’intégration des musulmans dans la vie de notre pays, leur compréhension des règles démocratiques et le respect de ces règles, leur insertion dans notre tissu social. Or là, si vous le voulez bien, faisons un saut en avant dans le temps, jusqu’au moment où cette éventuelle initiative serait votée. Et supposons que le peuple ait tranché en faveur de l’interdiction des minarets : le problème de l’intégration des musulmans serait-il résolu ? Pas du tout. Et dans le cas contraire, le problème demeure aussi. Je pense donc que cette question de minarets est un leurre, dont le but n’est que de remuer… de remuer la peur ! Notre peur, irrationnelle, d’être submergés, dominés, étouffés… Jouer avec la peur des gens me semble être un tour politique très critiquable. Et pour ce qui nous concerne, céder à la peur est de très mauvais conseil !

2. La peur et ses formes

Oui, c’est de la peur qu’il s’agit, et c’est avec une réflexion sur la peur que j’aimerais continuer avec vous maintenant. Cette peur qui est si humaine, parce qu’elle vient nous habiter constamment. Peur pour soi, peur pour ses enfants sur la route, peur du lendemain… Cette peur qui peut être très utile aussi, car une de ses fonctions est de nous avertir de dangers éventuels. Quelles sont nos peurs les plus importantes ? Celle de n’être pas considérés, pas écoutés, d’être méprisés, exclus, c’est probablement la plus intense de toutes nos peurs. Puis vient la peur qu’on nous fasse violence, qu’on touche à notre intégrité physique, qu’on nous prive de nos droits, qu’on attente à nos biens. Il y a aussi la peur de la maladie, de l’accident, de la souffrance, de l’échec, des changements autour de nous, des bouleversements dans la société : le réchauffement du climat, les délocalisations d’entreprises et le chômage, la baisse de notre niveau de vie, les islamistes qui vont venir perturber notre équilibre social, notre Église qui s’effrite et s’affaiblit; et toujours présente, bien sûr, la peur de la mort. A toutes ces peurs qui nous traversent toutes et tous à un moment ou à un autre, la Bible ajoute encore la peur de Dieu, à cause de son exigence à notre égard, la peur de ne pas trouver place devant lui, le Tout-autre. Mais dans la majorité des textes, la crainte de Dieu est surmontée par l’amour de Dieu : elle est vécue de manière positive, comme un respect confiant et aimant.

Une des caractéristiques étonnantes de la peur, c’est qu’elle n’est pas vraiment provoquée par la réalité des faits, mais par l’image de ce que pourrait devenir la réalité à notre égard. La peur vient d’une sorte de visualisation d’un futur imminent. Nous anticipons l’expérience d’une situation dangereuse, nous souffrons par avance d’une représentation menaçante que nous construisons dans notre esprit. La peur est une inquiétude poussée à l’extrême. Ce caractère d’anticipation peut être un signal utile pour prendre des mesures raisonnables; mais très souvent l’émotion nous envahit et nous submerge à tel point que nous perdons tous nos moyens pour analyser objectivement la réalité : nous sommes comme paralysés, nous nous recroquevillons sur nous-mêmes. Nous prenons une attitude exagérément défensive, qui peut avoir des conséquences nuisibles.

3. Lutter contre la peur

Deux écoles philosophiques de la Grèce ancienne nous ont laissé un enseignement pour lutter contre la peur, celle des épicuriens et celle des stoïciens. Ils avaient déjà remarqué que la peur était un des plus grands obstacles au bonheur. Ils avaient vu que les hommes avaient peur de perdre ce à quoi ils étaient attachés, ce dont ils étaient finalement dépendants. La solution qu’ils préconisent alors, consiste à ne pas être dépendants : de l’estime des autres, des honneurs, des plaisirs, de la richesse, de la douleur, de son corps, autrement dit d’être libres, complètement non-impliqués. Il s’agit d’accepter les choses sur lesquelles on n’a aucun pouvoir comme elles sont, et d’agir là seulement où on a du pouvoir : sur soi, sur son âme.

Chez les philosophes, la peur fait donc obstacle au bonheur; mais chez nous, les chrétiens, elle peut nous empêcher d’accomplir la volonté de Dieu et nous faire prendre des décisions dommageables pour notre prochain, des décisions injustes. Car, lorsque nous avons peur, afin de nous protéger, nous devenons tout prêts à consentir au mal, à la faute. Comme chrétiens, nous devons donc aussi nous garder de la peur et résister à ceux qui cherchent à nous faire peur, de quelque bord qu’ils soient. Il est clair que parmi ces derniers, nous trouvons les médias, les divers groupes de pression, les partis politiques : nous faire peur, à plus ou moins haute dose, entre parfaitement dans leur stratégie. Leur rôle est bien de nous informer ou de nous alerter, mais on y ajoute toujours un zeste de catastrophisme pour nous émotionner: ça paie ! Comme aussi de diaboliser l’adversaire…

4. N ‘ayez pas peur !

L’évolution de notre monde est un réel sujet d’inquiétude! Mais comment nous garder de la peur et rester raisonnables ? « N’ayez pas peur ! » dit le Christ à ses disciples. « Soyez sans crainte »répète l’apôtre Paul. Ils nous appellent à faire confiance à Dieu, dont la Parole a créé le monde et le juge. Dieu ne nous évitera pas toute difficulté, toute épreuve; il ne contraint pas par la force notre monde à marcher droit. Mais il nous donne sa Parole comme fil conducteur pour analyser les situations et pour avancer, il nous donne le Christ comme témoin d’un amour qui guérit de tout mal. Paul écrit aussi : « L’Esprit que vous avez reçu n’est pas un esprit qui vous rende esclaves et vous remplisse à nouveau de peur; mais c’est l’Esprit Saint qui fait de vous des fils de Dieu et qui nous permet de crier à Dieu : « Mon Père! »

Nous avons reçu un Esprit qui nous fait respirer quand nous nous sentons crispés ou oppressés : il maintient en nous une ouverture vers Dieu. L’Esprit est esprit de communication, de relation à Dieu, qui nous empêche de nous laisser enfermer, de laisser notre cœur et notre intelligence être verrouillés par la peur. Quand ils sont avec leur père, les enfants n’ont pas peur, ils risquent même d’être trop intrépides. Quand il nous est permis de nous écrier « Notre Père », c’est-à-dire de réactiver notre relation à Dieu et à sa Parole qui traverse l’histoire, nous arrivons à nous détacher de la peur, toujours plus, à devenir solides, à devenir libres, comme des fils et des filles de Dieu.

Plus les temps sont troublés, plus ils génèrent de grosses vagues inquiétantes, plus nous devons résister à l’enfermement de la peur. Et veiller tout particulièrement à ne pas nous laisser entraîner dans des raisonnements et des logiques qui découlent d’une sorte de panique. Ainsi, à propos des musulmans, comme s’il nous était impossible d’imaginer que nous puissions vivre respectueusement ensemble. Nous devons poursuivre sur la conviction que les solutions que Dieu fait aboutir sont celles de la foi et de l’amour, celles où l’autre, quel qu’il soit, n’est pas considéré comme un ennemi, mais le lieu où le Seigneur nous rencontre.

Donné le 13 mai 2007 à Penthaz
René Blanchet